t les sourcils fronces;
puis il dit:
--Nous reviendrons l'un de ces jours dans votre village et nous
dicterons nos conditions.
Pierken, hesitant, doutait du succes.
--Quelles conditions, monsieur? demanda-t-il timidement.
--Pas de "monsieur"! Nous sommes tous camarades! reprit le chef avec
rudesse.
Et, d'un ton categorique:
--Journee de huit heures; assurance contre les accidents; retraites
ouvrieres; et, d'abord et avant tout, serieuse augmentation de salaire
et participation aux benefices.
Pierken sentait la tete qui lui tournait. Il etait ebloui. Tant de
choses a la fois! C'etait trop. Ca n'irait pas.
--Ca doit aller et ca ira! dit le chef en frappant du poing sur la
table.
Mais il n'avait pas le temps aujourd'hui de traiter plus longuement ce
sujet d'ordre secondaire; et, en quelques mots haches, il traca a
Pierken sa ligne de conduite.
--Retournez a votre village. Convoquez tous les ouvriers de la fabrique.
Arretez vos conditions. Communiquez-les a votre exploiteur et venez
m'apporter sa reponse. Nous nous chargeons du reste.
Rapidement, il serra la main de Pierken et disparut, appele ailleurs.
II
Depuis ce jour, Pierken ne songeait plus a autre chose. Il y avait des
semaines que les ouvriers se reunissaient en conciliabule deux fois par
jour, aux repos de huit heures et de quatre heures, et ils n'avaient
plus d'autre conversation.
Tous vibraient d'emotion passionnee devant l'image du bonheur entrevue,
mais ils n'etaient nullement d'accord sur la possibilite et les moyens
de l'atteindre. Une chose dont ils etaient tous convaincus, c'etait
l'impossibilite absolue de faire accepter les conditions telles que les
avait posees pour eux le grand chef. Cela pouvait peut-etre reussir dans
les gros centres industriels avec leurs puissantes organisations de
travailleurs; ici, au village, ou personne n'avait l'esprit prepare, il
n'y fallait meme pas songer. Mais on pourrait peut-etre, c'etait assez
probable, obtenir "quelque chose". La grande question etait a present de
savoir et de decider en quoi cela consisterait.
Apres bien des palabres, Pierken presenta un programme concret.
L'assurance contre les accidents, les retraites et la participation aux
benefices, c'etaient des points du programme qu'il fallait mettre de
cote, provisoirement. Le proletariat rural n'etait pas mur pour ces
conquetes. Mais on pouvait exiger une augmentation de salaire et une
diminution des heures de trava
|