sa bouteille de genievre, il
etait bien rare qu'elle s'assit quelques instants pour bavarder, comme
elle faisait jadis.
Sefietje et sa bouteille etaient pourtant le seul evenement qui parvint
encore a tirer les ouvriers de leur humeur morose, les femmes aussi bien
que les hommes. Lorsqu'elle avait passe, les conversations se faisaient
plus animees et il arrivait meme qu'on entendit un bout de chanson; mais
cela durait bien peu. La tristesse renfrognee reprenait le dessus;
surtout vers le soir, lorsque la rouge lueur du couchant penetrait en
larges barres d'or dans les ateliers sombres, l'accablement et la
fatigue descendaient sur les hommes et les femmes comme une grande
douleur silencieuse, desesperante.
La cause de ce changement, c'etait Pierken, parmi les hommes; et
Victorine, sa fiancee, parmi les femmes.
Pierken, avec son petit journal socialiste qu'il lisait chaque jour, de
la premiere ligne a la derniere, n'avait pas encore digere ni oublie le
meeting manque de l'automne precedent devant la porte de _La Belle
Promenade_. Cette reunion avait rate, parce que insuffisamment preparee;
mais elle pouvait reussir une seconde fois. D'ailleurs, meme si on
n'organisait pas un second meeting au village, on pouvait tenter autre
chose, une action circonscrite et directe, parmi les ouvriers de la
fabrique. C'etait a quoi pensait Pierken, jour et nuit; et il estimait
que le moment d'agir etait venu.
A diverses reprises, a la suite du fameux meeting, il s'etait rendu en
ville et entretenu avec les chefs du parti. Il avait visite leurs
grandioses installations; il avait compris et admire ce que peuvent
l'union et la cooperation. De plus en plus il etait devenu un
travailleur informe, conscient des droits, de la force, la dignite de la
classe ouvriere. Un jour, il y avait rencontre le grand chef du Parti
Ouvrier, qui s'etait entretenu pendant quelques instants avec lui. Le
chef l'avait questionne sur la situation du proletariat des campagnes et
avait prete une attention soutenue a ses explications. C'etait un petit
homme au visage pale et aux traits energiques. Lorsqu'il parlait, il
semblait mordre ses mots, durs comme acier; et ses poings se crispaient
machinalement, comme s'il pressait et petrissait continuellement quelque
chose.
--Ce sont des conditions telles qu'au moyen-age; il faut que ca change!
repondit-il d'un ton cassant aux renseignements fournis par Pierken.
Il se recueillit un instant, les poings serres e
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