e, comme entrainees par une
plaque tournante, toutes trois firent demi-tour et rebrousserent chemin.
Ce fut un acte d'hostilite tellement inattendu et flagrant que M.
Triphon d'abord en resta cloue et ne comprit qu'au bout d'un instant le
sens de leur geste. "Nom de Dieu de bigotes! Biques a bon Dieu!"
cria-t-il, si haut qu'elles durent certainement l'entendre. La fureur
lui montait a la tete en un flot empourpre. Et il eut un geste machinal
pour les suivre et leur demander des explications.
Il se contint, heureusement. Il tendit le poing derriere elles, qui
s'empressaient, effarouchees, de rentrer au village. Mais l'affront
l'avait blesse jusqu'au fond de l'ame, mille fois plus que l'avanie
subie aupres de Fietje et des clients a la _Pomme d'Or_; la vague de
colere passee, il se sentait malheureux et humilie au point d'en
pleurer. A present il savait assez ce qu'on pensait de lui au village.
Il etait perdu, irremediablement perdu dans l'estime de tout le monde.
"Perdu", gemissait-il plein d'amertume, "perdu, parce que, au fond, je
suis reste honnete, parce que je n'ai pas commis la vilenie d'abandonner
cette pauvre fille."
Cette double aventure deposa au fond de son etre un ferment
d'exasperation et d'aigreur, qui desormais y demeura et de temps a autre
remontait, gatant sa vie. Il etait un declasse dans l'existence, c'etait
entendu; alors il ne se generait plus. Peu importait, des lors, ce qu'on
dirait ou penserait de lui. Peu importait ce que feraient ses parents.
Il n'avait plus que Sidonie; maintenant il y allait presque chaque jour,
a leur pauvre maisonnette d'ouvriers, comme vers le seul asile qui lui
restat au monde. Il y trouvait un accueil invariablement cordial,
amical. Il en fit son veritable chez lui. Il s'y installa comme au cafe,
ou il n'allait plus jamais. Il y fit venir vin, liqueurs, cigares,
conserves; il y regalait toute la famille et leur voisin, le petit
teilleur. Comme tout cela coutait gros, bien plus qu'il ne lui etait
alloue a la maison, il fit des dettes par-ci par-la, qui seraient
reglees plus tard, interets compris.
Il s'en fichait. Tout lui etait devenu indifferent. A present les choses
etaient ainsi et n'allaient plus autrement. Advienne que pourra, etait
desormais sa devise. A la maison, le visage furieux de son pere, les
soupirs attristes de sa mere tyrannisee, et, comme accompagnement, le
mutisme renfrognee de Sefietje et l'inquiet coup de vent des jupes
d'Eleken; la, chez ces gen
|