ment, tout travail semblait arrete.
Mais des qu'on l'apercut, fini! toutes s'occupaient exclusivement de
leur ouvrage, tandis que Sefietje, les joues en feu, se hatait de
remplir le verre pour quitter l'atelier, sitot servie la derniere
ouvriere. M. Triphon bourra sa pipe et les regarda toutes d'un coup
d'oeil circulaire plein de mefiance. Mais rien ne trahissait leurs
pensees; elles parlerent un moment du temps, qui etait vraiment
extraordinaire pour la saison; et, comme M. Triphon ne repondait rien,
toutes garderent pareillement le silence: un silence genant, qui dura
deux ou trois minutes, jusqu'a ce qu'il comprit l'inutilite d'une
attente plus longue et, la mine renfrognee, quittat l'atelier.
XIX
A la maison regnait un etat d'esprit bizarre, obscur et incertain. Dans
la cuisine, decidement, il n'etait point normal. Sefietje se trahissait
par une agitation insolite. Eleken semblait ne point connaitre une
seconde de repos; ses allees et venues etaient continuelles, et sans
cesse ses jupes passaient et repassaient en coup de vent derriere les
portes. L'attitude de sa mere inspirait des doutes. Savait-elle? Ne
savait-elle pas? Il hesitait. Parfois elle le regardait avec une
tristesse grave; l'instant d'apres, rien ne lui semblait change, et elle
avait son visage de toujours. En tout cas, son pere ne savait rien,
c'etait certain. Il montrait a table son humeur habituelle, sans aucune
amenite, mais aussi sans hostilite apparente. Il etait meme plus
communicatif que de coutume; il parla longuement de ses
affaires--naturellement--sous un jour qui n'etait pas trop sombre.
M. Triphon, qui sentait venir l'heure de son entreprise hasardeuse,
mangeait, le coeur battant, avec effort. Les morceaux lui restaient dans
la gorge, mais il les avalait tout de meme, pour ne pas eveiller de
soupcons. Sa mere s'en apercut pourtant et lui demanda, avec une
sollicitude debonnaire:
--Tu n'es pas bien, mon garcon?
--Oh! si, si, dit-il, je n'ai pas grand'faim, voila tout.
Et il posa sa fourchette. M. de Beule leva les yeux dans la direction de
son fils et ses sourcils se contracterent d'un air reveche. M. Triphon
tressaillit. "Saurait-il tout de meme quelque chose?" se demanda-t-il.
Mais il se remit promptement. M. de Beule, son assiette garnie pour la
seconde fois, se remit a parler de l'etat de ses affaires, et M. Triphon
pensa: "Ce n'est rien, c'est sa mauvaise humeur naturelle, qui, sans
raison, se manifeste tout a coup
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