ps, d'avoir a cote de soi une femme aimee. Si bon de ne
pas aller son chemin tout seul et perdu de par le monde, alors que tous
les etres vivants se rejoignaient irresistiblement dans l'amour. Si bon,
a l'heure douce et mysterieuse du crepuscule, ou la terre s'estompait en
gris-fauve et le ciel prenait des teintes verdatres, d'etre assis aupres
de Sidonie devant sa petite porte a regarder les etoiles naissantes et a
respirer l'odeur des champs. Et il eut ete bon aussi, sans doute, de se
promener dans le beau grand jardin familial avec Josephine Dufour en
faisant ensemble de beaux projets d'avenir: longs voyages en des pays
lointains et fabuleux, ou calme bonheur au foyer, dans le confort et le
bien-etre. Le printemps, c'etait quelque chose de riche et de
bienheureux, quelque chose qui voulait jouir, et jubiler, et chanter,
voulait palpiter, etreindre! Le printemps etait comme une porte
etincelante et sublime, toute large ouverte sur un horizon de feerie ou
rutilait la grande fete de l'existence: la longue et riche fete du
voluptueux ete, dont chacun devait avoir goute avant de pouvoir dire
qu'il avait reellement vecu.
M. Triphon n'avait pas vecu et ne vivait pas. Il le sentait avec une si
vive amertume a cette heure! Il sentait la veulerie de son existence,
seul au monde dans la monotonie de sa jeunesse, a cote d'un pere tyran
et d'une mere tyrannisee. Il sentait cet esseulement avec une acuite
torturante; il en souffrait jusqu'a la demence; et il lui faisait
horreur, comme a un egare ou un aveugle a qui l'on dirait de retrouver
sa route dans un desert sans bornes. Le cher printemps, qui devait
rendre les gens heureux, lui faisait mal et il fuyait son douloureux
enchantement. Il aimait encore mieux la lugubre fabrique, ou d'autres
malheureux passaient les radieuses journees; sa lourde tristesse y etait
en harmonie avec l'atmosphere ambiante, tel un oiseau habitue a sa cage.
Un jour qu'il y rodait ainsi, controlant machinalement l'ouvrage, le
rectangle de soleil qu'y dessinait la porte d'entree s'obscurcit
brusquement comme au passage d'un nuage, et il vit la silhouette d'un
homme, debout sur le seuil, qui lentement s'avanca vers lui, un sac plie
en deux sous le bras. M. Triphon allait deja a sa rencontre pour lui
demander ce qu'il desirait, quand tout a coup ses sourcils se
froncerent, et il se retint a peine de le chasser d'un geste
categorique. L'homme devant lequel il se trouvait n'etait autre qu'Ivo,
le petit tei
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