lleur de lin, voisin des Neirynck, celui que M. Triphon
accusait d'avoir jase.
Le petit bonhomme, cependant, ne semblait nullement se douter du
sentiment qu'il eveillait. Souriant d'un air mysterieux il s'approcha de
M. Triphon, avec un bonjour aimable, et lui demanda s'il pourrait avoir
un petit sac de farine. M. Triphon, haineux et vindicatif, fit signe a
Pee le meunier de s'en occuper, tourna les talons et s'en alla sans
faire autrement attention a l'individu. Ivo, un moment interloque, le
suivit d'un pas hesitant; et, brusquement dans le tapage des pilons,
pendant que Pee remplissait le sac, il chuchota a l'oreille de M.
Triphon ces mots qui le firent frissonner:
--J'ai des nouvelles pour vous, monsieur Triphon; une lettre.
--Ah! dit machinalement M. Triphon, pendant qu'il considerait le petit
homme d'un regard stupefait.
Et, lorsqu' Ivo eut pris le petit sac rempli des mains de Pee, il le
suivit dehors, a travers la cour, jusque sous la grande porte
charretiere.
--Voila, dit Ivo, dans un coin sombre, en lui mettant vivement
l'enveloppe dans les mains.
M. Triphon dit merci a voix basse, donna un pourboire a l'homme et s'en
fut a grands pas vers le jardin. A l'ecart, a l'ombre des sapins
soupirants sous la brise, il dechira le pli, le coeur battant a grands
coups precipites. D'un rapide regard il parcourut les lignes, qui lui
semblaient incoherentes et troubles. Il retourna le papier d'une main
febrile et lut la signature tracee d'une main hesitante et
inexperimentee:
Votre devouee
Elisa NEIRYNCK.
Il s'arreta oppresse, le regard trouble, comme si un voile flottait
devant ses yeux. D'un geste machinal de la main a son front il essaya
d'eloigner quelque chose. Puis il reprit la lettre aux premieres lignes
et lut ces mots, qui furent comme autant de soufflets: "Un si joli petit
mignon, monsieur Triphon, et qui vous ressemble tout a fait et Sidonie
veut qu'il porte votre petit nom comme nom de bapteme".
Effare, ahuri, M. Triphon regarda autour de lui. Etait-ce un reve, ou y
avait-il la, cache quelque part, un esprit moqueur qui s'amusait de lui?
Comment! Un enfant etait ne dont il etait le pere et qui porterait son
nom! Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Comment ne l'avait-on pas
prevenu, consulte! Etait-ce possible de donner a un enfant le nom de
quelqu'un sans autorisation prealable! M. Triphon avait l'impression
qu'on se jouait de
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