soir qu'il etait assis la, comme de coutume a fumer sa pipe, aupres
des dentellieres, des pas lents resonnerent au dehors, sur le dallage de
briques le long du mur. Puis quelqu'un secoua la neige de ses sabots et
des doigts discrets frapperent doucement a la porte.
--Mon Dieu! Qui ca peut-il etre! s'ecrierent les jeunes filles
inquietes.
Bien sur, ni le pere, ni Maurice. Ce n'etait pas encore leur heure et
ils ne frappaient pas a la porte pour entrer.
--Continuez votre travail; j'irai voir, dit la mere, elle-meme troublee.
Elle alla vers la porte. Les bobines, un instant arretees,
recommencaient a tambouriner tout doucement.
--Qui est la? cria-t-elle d'une voix aigre.
--C'est moi, Ivo, repondit du dehors une voix enjouee.
--Mon Dieu! C'est Ivo, notre voisin. Vite, M. Triphon, cachez-vous dans
la chambre! dit Sidonie a voix basse.
M. Triphon se leva d'un bond, entra dans la chambre. Mais il en
ressortit aussitot, pour prendre Kaboul, qui etait reste endormi devant
le feu. Au meme moment, la mere ouvrait la porte et Ivo, en entrant, se
trouva nez a nez avec M. Triphon. Les yeux de la mere s'ecarquillerent
d'angoisse et les jeunes filles ne purent reprimer un leger cri.
Ivo, qui entrait en souriant, etait le petit teilleur de lin d'a cote,
que M. Triphon voyait chaque soir en passant, dans son reduit
poussiereux, en train de se demener sur sa planche a bascule en
fredonnant une chanson, comme s'il ne travaillait que pour son plaisir.
Ainsi que tout le monde au village, il connaissait bien M. Triphon, et
une stupefaction profonde, melee de gene, parut sur ses traits, quand il
le vit la, d'une facon aussi soudaine et inattendue. Un instant, il se
figea dans une immobilite complete, bouche bee et les yeux ronds, puis
il eut un mouvement comme pour deguerpir. Il se ressaisit neanmoins,
prononca d'une voix timide un "Je ne derange pas", puis s'avanca d'un
pas hesitant. Des flocons de neige restaient colles a sa casquette et
ses epaules; et, a le voir la, saupoudre de blanc par-dessus la couche
de poussiere jaunatre qui le couvrait des pieds a la tete, avec ses
petits yeux bleus rieurs et sa barbe jaune ou la neige fondante faisait
scintiller de menues etoiles d'argent, il faisait penser a un drole de
bon petit saint Nicolas pour rire, descendu, au grand plaisir des
enfants, des froids nuages sur la terre. Apres un "Bonsoir, tout le
monde", il refusa de s'asseoir, parce qu'il n'avait pas le temps. Il
sortit u
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