Mais aussitot il s'arreta, suffoque, ne trouvant plus les mots. Tout son
corps tremblait. Maintenant qu'il etait la, il ne savait plus que faire
ni que dire. Il etait venu pour la revoir, dans un elan de tendresse et
de remords irresistible et il n'avait pas une parole, pas un geste, pour
exprimer le tumulte de ses sentiments. Il considerait Sidonie, qui
gardait un mutisme farouche, et ses levres fremissaient, sans articuler
un son. Enfin, d'un effort violent, il put begayer:
--Sidonie ... puis-je encore venir te voir?
Elle ne dit rien, les bobines tambourinaient sur le carton glace, mais
elle inclina la tete, comme en signe d'acquiescement. La mere se tenait
droite et figee devant le feu; les petites soeurs demeuraient immobiles,
leurs beaux yeux clairs fixes sur lui.
--Sidonie ..., reprit-il avec angoisse, je ne peux plus vivre ainsi, il
me faut te revoir.
De nouveau elle inclina la tete, sans repondre. Elle aussi semblait
incapable de parler. Elle releva ses yeux mouilles de larmes, les tint
longuement fixes sur lui. Il se precipita, lui prit les mains, les serra
convulsivement. Un sanglot brusque s'echappa de sa gorge. La mere vint
vers lui, avanca une chaise et dit:
--Asseyez-vous, monsieur Triphon.
Il s'assit.... Il s'assit tout pres de Sidonie et la regarda avec
tendresse. Sa respiration etait oppressee et haletante. La sueur perlait
sur son front. La presence importune des deux petites soeurs ebahies et
curieuses le genait. Il les regardait avec impatience, comme pour les
faire partir. Intimidees, elles baisserent la tete et se remirent
machinalement au travail. Les bobines tapotaient doucement. Peut-etre,
si elles n'avaient pas ete la, les mots qu'il fallait dire lui
seraient-ils venus. Maintenant, il ne trouvait que cette banalite, qui
sonnait, discordante, a ses propres oreilles:
--Comment vas-tu, Sidonie?
Elle se remit a pleurer. Aussi, cette question! Il n'aurait rien pu lui
demander de plus maladroit ni de plus stupide: il le sentait.
--Comment voulez-vous que j'aille! repondit-elle enfin, profondement
navree.
Il la regarda a la derobee. Ses joues tendres avaient conserve de leur
fraicheur et le profil etait reste fin et pur, un peu aminci sous les
beaux cheveux bruns ondules. La taille s'alourdissait.... Il essaya de
se ressaisir, mais son esprit demeurait agite et trouble. Il sentait des
lacunes dans son cerveau. Que venait-il faire? Quel etait son but? Il
l'ignorait lui-meme. Les
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