de la portee d'un tel evenement; et il regardait sa femme d'un oeil
interrogateur, comme pour lire sur ses traits ce qu'il devrait bien
repondre. C'etait un homme d'une cinquantaine d'annees, au visage
affable qui avait la couleur uniforme et terreuse de ses vetements de
travail. Il paraissait fatigue et jetait machinalement des regards
obliques vers le chaudron fumant, comme si la se trouvait pour le moment
ce qui l'interessait le plus. Maurice continuait a garder le silence,
l'air hypnotise par la flamme crepitante du foyer.
--Il ne faut pas partir a cause de moi, monsieur Triphon, dit enfin le
pere avec effort, tout en regardant sa fille ainee.
D'un geste emu, M. Triphon exprima sa gratitude pour ces paroles
conciliantes. La gene devenait moins pesante; un certain rapprochement
semblait vouloir s'etablir. Il tata dans sa poche, prit son etui a
cigares et l'ouvrit.
--Un cigare, pere Neyrinck? demanda-t-il en s'approchant de lui.
--Oh! ca n'est pas necessaire, monsieur Triphon, repondit le pere avec
un sourire de convoitise vers l'etui.
--Si fait, si, si, insista M. Triphon, qui lui donna trois beaux
cigares.
--Je vous remercie beaucoup, monsieur Triphon; j'en fumerai un apres que
j'aurai mange, dit le pere.
Et il prit le cadeau avec precaution, entre ses gros doigts tremblants.
M. Triphon se tourna vers Maurice, qui sourit en rougissant legerement.
En recevant, lui aussi trois cigares il regarda ses soeurs, d'un air
presque triomphant. Tout de suite il en alluma un.
--Est-ce qu'on mange bientot? demanda doucement le pere a sa femme.
--C'est pret; dans cinq minutes, repondit-elle.
Elle defit le lourd chaudron de son crochet au-dessus de l'atre et versa
le contenu dans une large terrine de gres rouge. Une bonne odeur de
soupe au lait de beurre se repandit dans la cuisine. Les jeunes filles
rangeaient leurs coussins. M. Triphon se leva pour partir. Kaboul, qui
en avait envie depuis longtemps, d'impatience fit entendre un long
baillement sonore et sautilla en dansant vers les genoux de son maitre.
--Kaboul, un bout de susucre? dit Maurice en caressant le petit chien.
M. Triphon tendit la main a Sidonie:
--Eh bien, Sidonie, a un de ces jours, n'est-ce pas?
--Vous reviendrez? demanda-t-elle en le regardant avec des yeux tendres.
Les deux petites soeurs, muettes et immobiles d'emotion attentive, ne
perdaient pas un geste des adieux.
--C'est permis? sourit-il.
--Vous savez bien que oui, di
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