bigles. Free le
considera une seconde d'un oeil fixe, puis lui cria a la face un "espece
de veau!" qui fit rire les autres a se tordre. Berzeel, qui s'etait
encore battu le dimanche precedent, portait au menton une cicatrice
noiratre, plaquee la comme une sangsue; et Pierken se tenait pres de
lui, levres closes et sourcils fronces, absorbe comme toujours dans les
questions sociales et ses idees nourries par son petit journal.
M. Triphon s'empressa de filer par une porte de communication
interieure. Il y surprit Bruun, le chauffeur, qui espionnait par une
fente; mais, sans faire autrement attention a l'incorrigible mouchard,
il passa et, par le jardin sombre, rentra a la maison. Lorsqu'il ouvrit
la porte du vestibule il entendit les pilons se ralentir et la machine a
vapeur expirer dans un dernier soupir.
Le souper etait pret. M. de Beule, l'air maussade, deja se dirigeait
vers la salle a manger, suivi de sa femme, qui l'observait d'un air
inquiet. Eleken vint servir et ils prirent leur repas en echangeant de
rares paroles.
Encore un jour qui s'achevait, semblable a tant d'autres jours en leur
invariable monotonie.
XII
Cela devint tres vite une habitude.... D'abord deux fois par semaine,
puis trois fois et bientot quatre a cinq fois, M. Triphon se rendait le
soir, dans l'obscurite, a la maisonnette du jardinier.
Il y trouvait un chaleureux accueil, un bien-etre, dont la douceur lui
manquait tant a la maison. Il avait sa place designee, a la petite table
des dentellieres, a cote de Sidonie; il y etait tout a fait a l'aise,
recu par tous comme s'il etait de la famille. De temps en temps il
regalait la mere et les jeunes filles de punch ou de limonade, qu'il
apportait enfouis dans les poches de son pardessus. Alors la joie etait
grande, les joues s'empourpraient, les yeux brillaient. Parfois, il
avait envie d'etre seul un moment avec Sidonie; mais, comme il y avait
la ses soeurs, il allait quelques instants avec elle dans la petite
chambre a coucher pres de la cuisine. D'abord, la mere s'y etait
resolument opposee. S'ils desiraient etre seuls, ils n'avaient qu'a
sortir. Ce qu'ils firent au debut; mais Kaboul les genait, en jappant et
donnant la chasse au chat; ou bien il pleuvait ou neigeait; ils avaient
peur aussi d'etre vus par les voisins. En verite, c'etait presque
impossible par ce temps d'hiver; et en fin de compte la mere se resigna,
bien qu'a contre-coeur, a leur ceder la petite chambre. Des lor
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