, il pouvait arriver de bonne heure et etre reparti avant l'heure
de leur retour. Et, lorsqu'ils ne trouvaient pas M. Triphon chez eux en
rentrant, la plupart du temps ils ne s'informaient pas de sa visite; les
femmes, de leur cote, s'etaient entendues pour n'en rien dire, si les
hommes ne posaient aucune question. Lorsque M. Triphon y etait encore au
moment ou pere et fils rentraient, les choses se passaient a peu pres
comme la premiere fois: on se saluait avec un peu de gene; on echangeait
quelques banalites sur le temps et la prochaine moisson; puis,
distribution genereuse de cigares, qui etaient toujours acceptes avec le
plus vif empressement. Apres quoi, M. Triphon prenait bien vite conge,
pour ne pas les gener pendant qu'ils prenaient leur modeste repas. Pere
et fils etaient resignes aussi bien que la mere et les soeurs; ils se
sentaient trop las pour se tourmenter l'esprit a des histoires. Le mal
etait fait. Evidemment, il eut mieux valu que cela ne fut pas arrive;
mais elle n'etait ni la premiere ni la derniere qui se trouvait dans le
meme cas. Et il y avait du moins une consolation: il serait riche plus
tard et toujours a meme de prendre genereusement soin d'elle et de
l'enfant. Du reste, il avait deja fait preuve de grande generosite. Il
donnait a Sidonie et a sa mere a peu pres tout l'argent dont il
disposait. Vraiment, il ne pouvait pas faire mieux pour le moment.
L'accident qui arrivait a Sidonie aurait pu tout aussi bien etre
l'oeuvre d'un garcon sans le sou, et alors les consequences auraient ete
infiniment plus graves. Cette idee etait plutot reconfortante. Et, sans
en convenir entre eux, le pere et le fils souhaitaient parfois que M.
Triphon vint un peu plus frequemment les voir, a cause des bons
cigares....
XIII
Ainsi se passa l'hiver. Il y eut d'abord des jours sombres, avec de
lourds nuages, qui flottaient bas, comme s'ils etaient charges de boue;
puis vinrent la neige et la gelee; puis le degel, puis encore de tres
fortes gelees, suivies d'une neige abondante par un vent glacial. Toute
la contree etait ensevelie sous l'immense nappe blanche, les
maisonnettes semblaient plus petites et prenaient des tons decolores au
milieu de tout ce blanc. La fumee des cheminees etait fauve et bistre
dans le gris opaque du ciel.
Les gens restaient chez eux, s'acagnardaient aux coins de l'atre, dans
un besoin d'intimite et de bien-etre. Les grandes chambres des maisons
cossues restaient glacees et somb
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