reclamait d'urgence, avec energie, un
changement radical. L'article etait serieux, avec quelques erreurs,
par-ci par-la, comme il arrive d'ordinaire aux gens de la ville traitant
des choses paysannes; mais dans son ensemble il faisait une impression
tres forte. Il retentit profondement, comme un long cri de detresse,
dans l'ame des ouvriers, pendant que Pierken leur en faisait a haute
voix la lecture. Oui, telle etait bien leur miserable existence. Tout
pour les riches, qui ne produisaient rien; rien, ou quasiment rien pour
les pauvres, qui accomplissaient du matin au soir, tous les jours, tout
au long de leur existence, une besogne d'esclaves. Une grande tristesse
silencieuse s'emparait d'eux. Dans ces mots qui vous empoignaient, cet
homme, ce "Paysan" avait mis la ce qu'ils sentaient depuis toujours,
sans pouvoir l'exprimer. Feelken n'avait plus aucune envie de traiter
la chose en farce, avec son habituel "Fikandouss-Fikandouss", et Leo ne
songeait pas en ce moment a pousser son effarant "Oooo ... uuu ...
iii ...". Et l'emotion avait gagne les femmes: Natse pleurait, Lotje
levait les bras au ciel et Mietje Compostello elle meme semblait douter
que le Petit Homme de La-Haut eut arrange les choses telles qu'elles se
passaient sur terre. "La Blanche", Sidonie et Victorine etaient les
moins bouleversees. Elles ne sentaient pas aussi vivement l'injustice
seculaire. Elles etaient trop jeunes. La jolie Sidonie avait le regard
perdu devant elle, comme si elle songeait a autre chose, et Victorine,
de ses levres humides, buvait les paroles de Pierken; elle l'admirait sans
penetrer le sens des mots, bercee par le talent du lecteur. L'article se
terminait par une longue liste des villages ou les socialistes de la ville
se proposaient d'organiser des reunions; et sur cette liste le leur
figurait.
--J'y serai, a cette reunion, et j'espere que vous, vous y viendrez aussi!
dit Pierken avec une hardiesse presque provocante.
Il y eut un flottement.
--Le patron nous fera valser, si on y va, insinua Ollewaert.
--N'importe; ca ne m'empechera pas d'y aller, affirma Pierken.
--Ni moi non plus! clama tout a coup Fikandouss-Fikandouss, au milieu de
l'etonnement des copains.
Eclat de rire general et bref. Qu'avait-il donc, ce loustic de
Fikandouss-Fikandouss, a prendre brusquement une decision pareille! Mais
Fikandouss, lui, ne riait nullement. Il ne plaisantait pas, il etait
tout a coup devenu tres serieux, tres grave, sourcils fr
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