onces, levres
pincees. Il repeta avec energie qu'il irait ... qu'il irait ... et devant
la remarque ironique de Leo que ce serait alors pour lui "Fikandouss-
Fikandouss", il ne broncha pas; sans un mot, il regarda son camarade,
les yeux fixes, presque durs.
D'ailleurs, Leo y viendrait, lui aussi. Il en prit la resolution a
brule-pourpoint, d'un ton calme et ferme; Free, par contre, ne savait
trop ce qu'il ferait. Il voulait d'abord en parler a sa femme. Poeteken
hesitait de meme. Lui, c'etait sa mere qu'il lui fallait consulter.
Quant a Berzeel, il hochait la tete; pas besoin de s'emballer, tout cela
n'en valait pas la peine. Du reste, il lui serait bien difficile d'y
venir, vu qu'il passait tous ses dimanches a son village.
Les autres ricanaient. Oui, on les connaissait, ces expeditions de
Berzeel, au bout de chaque semaine. Il y avait encore ete, samedi
dernier, et n'avait reparu a la fabrique que le mardi matin,
meconnaissable, le visage boursoufle, tumefie, temoignage de l'alcool
lampe et des gnons recus. Il en portait encore la marque au-dessus de
l'arcade sourciliere, comme une grosse chenille noire de sang coagule.
Meprisant, Pierken haussa les epaules: avec son ivrogne de frere, il n'y
aurait jamais rien a entreprendre. Il se tourna vers Bruun, le chauffeur,
et son fils Miel, ainsi que vers Siesken, et demanda:
--Et vous autres, vous irez?
--Non ... non ... je n'irai pas, et Miel non plus! repondit Bruun d'un ton
haineux et agressif. Et il donna ses motifs:
--Je n'ai pas envie de valser pour le plaisir d'entendre debiter des
blagues.
Miel ne dit rien; il n'osait pas contredire son pere, et ne semblait du
reste pas bien comprendre ce qu'on attendait de lui. De ses petits yeux
idiots il regardait Pierken et hochait la tete. Pierken n'insista pas et
se tourna vers Siesken et Pee, le meunier.
Siesken le prit sur un ton de bonne plaisanterie.
--Est-ce qu'on nous paiera la goutte au moins, a ce fameux meeting?
demanda-t-il, avec un sourire beat sur sa face poupine.
--Les socialistes sont ennemis de l'alcool, repondit Pierken d'un air
grave.
Pee ne savait trop s'il irait. Il en avait bien envie; mais, comme
Bruun, il craignait la colere de M. de Beule. Il se tenait droit et
raide comme un bonhomme de neige sous la couche de farine qui le
couvrait des pieds a la tete; et, de ses levres rasees coulait un filet
de salive brune sur son menton platreux. Il retourna sa chique d'un tour
de langue et cra
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