ort, mais nullement bravache, surtout le soir, dans l'obscurite et la
solitude. Pris de peur, il fut sur le point de fuir eperdument. Ses
genoux flechissaient, ses jambes se derobaient sous lui. Brusquement il
vit l'objet de sa terreur. C'etait Kaboul qui, malgre la defense, l'avait
suivi, par fidele habitude. Il etait la, petit et noir, vaguement visible
dans la brume, comme un gnome, avec ses oreilles pointees, qui semblaient
demander avec instance d'etre de la promenade. "Sale bete!" gronda M.
Triphon, furieux surtout d'avoir ete effraye pour si peu. Il se baissa,
ramassa une motte de terre et la lanca, avec un juron, vers le petit
chien: Kaboul coucha ses oreilles et disparut dans l'ombre.
M. Triphon poursuivit sa route. Ses yeux s'habituaient peu a peu a
l'obscurite; et, a travers le voile du brouillard, il vit vers la
droite, au dela des champs, a peu de distance, vaguement scintiller de
petites lumieres. C'etait la, dans une de ces maisonnettes. De l'endroit
ou il se trouvait, impossible de reconnaitre parmi les habitations celle
des parents de Sidonie, mais s'il avait coupe tout droit a travers
champs, peut-etre se serait-il trouve devant sa porte. La tentation
etait violente; pourtant il resista. Il marcha jusqu'a la butte du vieux
moulin, ou le chemin bifurquait a angle aigu et passait devant les
maisonnettes.
Son coeur battait nerveusement, a coups precipites. Oserait-il ..., si
pres de chez elle? Et que ferait-il si quelqu'un le voyait, si par
hasard une porte s'ouvrait juste au moment ou il passerait! Il hesitait.
Machinalement, il gravit la butte du moulin et s'y arreta un instant,
immobile sous l'enorme carcasse avec l'ossature de ses ailes croisees,
dont les extremites se perdaient dans la tenebre nebuleuse. Il tendait
l'oreille, perplexe et agite. La face tournee vers le village, il y vit
de loin clignoter quelques lumieres. Il percut le cahotement lourd d'une
charrette sur le pave et la danse tumultueuse des pilons dans la fabrique.
Il entendit aussi plus pres, venant d'une des maisonnettes, le ronron
monotone d'une roue d'ecoussoir. Peut-etre le pere de Sidonie, qui
teillait encore du lin apres sa journee de travail, afin de pourvoir a
l'entretien de sa nombreuse famille, privee du salaire que Sidonie gagnait
jadis a la fabrique. Un sentiment profond d'injustice et de remords le
penetra vivement dans ce pesant silence du soir d'hiver, au sein de cette
morne et melancolique solitude. La dure existenc
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