C'etait Berzeel qui, au lieu
de se saouler comme d'habitude dans son patelin, venait par hasard de
descendre au village ou il travaillait pendant la semaine et, par sa
seule apparition, mettait tout en emoi. Agace, ayant peine a maitriser
sa colere, le tribun se pencha sur sa chaise pour lui demander:
--Qu'est-ce que vous voulez, mon ami?
Avant que Berzeel eut le temps de repondre, la foule se creusa,
bousculee; comme un tigre, Pierken sauta sur son frere et lui hurla en
pleine face:
--Salaud! Crapule! Ivrogne! Tu n'es pas honteux! Veux-tu f.... le camp!
--Hein! quoi! rugit Berzeel, brandissant son baton.
Et brusquement il l'abattit, de toute sa force, sur la nuque de Pierken.
La foule s'ameutait. Leo se precipita, saisit Berzeel a bras-le-corps,
le maintint avec rage. L'orateur sur sa chaise vociferait, faisait des
efforts desesperes pour retablir le calme.
--C'est mon frere, monsieur, gemissait Pierken. J'ai honte de l'avouer.
--Pas de monsieur; appelez-moi camarade, dit le tribun d'une voix
mordante. Et lachez cet homme, ordonna-t-il a Leo. Je me charge de lui
faire entendre raison.
Leo denoua son etreinte, et l'orateur, apostrophant l'ivrogne:
--Mon ami, ce n'est pas bien ce que vous avez fait la. Vous etes sous
l'influence de la boisson, ce fleau de la classe ouvriere en Flandre....
--J'ai pourtant bien le droit de boire une goutte, si je la paie!
riposta Berzeel d'un air provocant.
Une clameur s'eleva; l'orateur agita les bras avec violence, reclamant
le silence.
--Qu'on apporte une chaise pour cet homme; il est fatigue! cria-t-il.
De nouveau, des clameurs et des rires fuserent; une chaise fut apportee,
passee de main en main au-dessus des tetes, vers Berzeel.
--Asseyez-vous la, dit le tribun.
--Si je veux bien! begaya Berzeel.
--Veuillez donc bien! insista l'orateur impassible. Berzeel prit la
chaise en maugreant, s'y laissa choir, et agitant son baton vers
l'estaminet, commanda:
--Patron, une goutte, nom de Dieu!
La foule ondoyait sous les rires, mais l'orateur, sans se laisser le
moins du monde deconcerter, se planta devant Berzeel et reprit, d'un ton
saccade et le regard dur:
--Vous demandez du genievre! Bon! Mais, avant qu'on vous l'apporte, vous
entendrez de moi ce que c'est que le genievre et quels sont ses effets
pour ceux qui, comme vous, en font abus.
Il se dressa comme un champion a la lutte et, en une diatribe violente,
il s'attaqua a l'alcool. Les phrases
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