midi Pol et le "Poulet Froid" rentrerent avec leurs
attelages, ils le savaient egalement.
Tout le monde le savait, on eut dit que cela flottait dans l'atmosphere
meme de la fabrique, qu'on le respirait, present partout. Cela tournait
avec les lourdes meules verticales, qui ecrasaient la graine luisante et
menue; cela cliquetait et ronronnait dans les moulins a farine de Pee;
cela dansait et bondissait dans le vacarme infernal des pilons.
Les ouvriers, pour la plupart, prenaient "l'histoire" a la blague et
s'en amusaient. Ils tourmenterent avec ferocite Poeteken qui d'ailleurs
faisait semblant de ne pas comprendre. "Fikandouss-Fikandouss-Fikandouss!"
criait Feelken a tout instant, par pur besoin de faire du bruit; et il
etait impossible de demander a Leo la plus petite chose, sans qu'il
lancat aussitot un "Oooo ... uuuu ... iiii ..." qui faisait trembler les
vitres et devait, bien sur, faire sursauter M. de Beule a son bureau,
dans la maison. C'etait comme une folie contagieuse: Free s'approcha de
Miel et, sans raison, lui hurla un retentissant "espece de veau!" en
pleine figure. Miel, ebahi, en ouvrit la bouche toute grande, sans rien
repondre, tandis que tous les autres se payaient une bosse de rire.
C'etait du delire, ce matin-la.
Obstinement, pendant toute la journee, les femmes se tinrent a l'ecart
des hommes. Ni a huit heures, ni a quatre heures, aucune ne se montra
dans la cour pour le casse-croute en commun avec les hommes. Ceux-ci,
desireux de connaitre des details, etaient extremement vexes. A quatre
heure et quart, Ollewaert, ne voyant pas arriver sa fille, se facha tout
rouge et se dirigea vers la "fosse aux femmes", pour contraindre au
besoin Victorine par la force.
--Ici! lui cria-t-il a travers les fenetres, comme a un chien.
Victorine obeit, bien a contre-coeur; mais, malgre toutes les instances
du petit bossu, elle ne lacha pas un mot de l'affaire. Cet entetement le
rendit si furieux, qu'il menaca de la battre. Aussitot Pierken
s'interposa, indigne.
--Tu ne vas pas frapper cette enfant parce qu'elle refuse de jaser!
grogna-t-il.
--C'est mon affaire! repondit Ollewaert d'un ton mordant, tres feru de
ses droits paternels.
Pierken se tut et tous considererent avec etonnement le petit bossu
d'ordinaire si bonasse. Qu'est-ce qui lui prenait tout a coup? Ce
n'etait plus lui. Victorine, en larmes, refusa d'achever sa tartine et
retourna en maugreant vers la "fosse aux femmes". Bruun, le chauff
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