i lui noyaient les yeux
et enflaient sa grosse tete.
Apres le repas de midi, les faneurs faisaient une longue sieste. Allonge
sur la berge a l'ombre des peupliers, on assistait au jeu du feuillage
brillant sur le ciel bleu, on entendait le chant adouci des oiseaux, on
sentait la brise vous rafraichir les tempes. On fermait les yeux, on
s'endormait ou faisait semblant de dormir; et parfois les hommes
chatouillaient avec des brins d'herbe les jambes nues des filles. Alors,
elles se reveillaient en sursaut, pour en rire ou se facher, selon leur
humeur. Les hommes, eux, riaient toujours, s'amusaient follement. A deux
heures on reprenait le travail; et on en avait alors jusqu'a ce que le
soleil s'inclinat vers l'occident, avec une demi-heure de pause pour la
collation.
L'heure du soir etait l'instant le plus delicieux de toute la journee.
Le soleil ne dardait plus; rouge, il pendait sur l'horizon, dans une
apotheose de miraculeuses couleurs. On eut dit d'enormes chateaux-forts
qui brulaient et fumaient; de grands lacs d'or et des rivages d'amethyste;
et de longues plaines verdatres dans le ciel, comme le reflet infini de
toute la splendide verdure luxuriante de la terre. Les oiseaux
s'appelaient a haute voix dans un fremissement qui annoncait l'heure du
coucher; partout, dans la vaste etendue des herbages, les faneurs
s'occupaient a ramasser le foin en meules minuscules pour la nuit. Tout
etait mouvement et couleur et la campagne entiere fleurait les capiteux
aromes. On pensait a des campements d'Indiens dresses a la hate, des
villages de chaume poussant a meme le sol, comme des champignons. Ils
prenaient des tons d'un gris verdatre, a l'orient; et vers l'ouest, ils
s'ourlaient d'or et de feu. Une buee transparente rampait a ras du sol
et les mares s'enveloppaient de reve. La tour blanche de l'eglise avait
une large bande orange, pareille a une echarpe diagonale, et le chateau
tout entier rougeoyait, avec ses toits et ses tourelles, sur l'ecran
sombre de son parc. Ca et la on entassait du foin sur des chariots;
et ils s'en allaient avec leur charge enorme, pareils a des greniers
roulants, tires par des chevaux qui, de loin, semblaient petits comme
des jouets d'enfants. Les petits vachers avec leurs betes revenaient
en chantant du pacage; elles laissaient au passage une odeur de musc
derriere elles. Tout etait enfin ratele et mis en meules; et par le
chemin de terre, d'ou s'elevait sous leurs pas une poussiere d'or, les
m
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