on et madame
son epouse attendaient leur visite la-bas, pour prendre un verre de porto.
Oui, Ollewaert l'affirmait au milieu d'une explosion de rires: la baronne
lui avait envoye par la poste une invitation pour eux tous; et il se
pourrait fort bien qu'elle les retint a dejeuner. Dommage que Guustje, le
charretier, n'etait pas avec eux, car pour sur on servirait du poulet froid
et de la salade.
"Fikandouss-Fikandouss-Fikandouss!" jubilait Feelken; et Leo lacha un
"Ooooo ... uuuu ... iiii ..." qui fit s'envoler les corbeaux de sur les
peupliers.
A dix heures, ils prenaient quelques instants de repos, tout de leur
long etendus sur la berge, a l'ombre des feuillages murmurants. C'etait
l'heure de la goutte matinale. La bouteille restait a rafraichir dans
l'eau d'un fosse et, a defaut du porto de madame la baronne, c'etait
richement bon tout de meme.
--Hoooo ...! quelle douceur! disait Ollewaert en se pourlechant les
levres.
Et Free, comme un echo:
--Un baume! Ca me descend jusqu'aux hanches!
--Vrai, Free, jusqu'aux hanches? riaient les autres.
--Jusqu'aux hanches! repetait Free en extase. Tiens, je le sens ici qui
coule, a droite et a gauche.
Ils ne se pressaient pas de reprendre le travail; ils restaient la,
etendus et pames, sans crainte que M. de Beule ou M. Triphon ne vint
brusquement les surprendre. D'ailleurs, cela n'avait pas d'importance;
l'herbe sechait tout de meme au bon soleil. Ils le voyaient, pour ainsi
dire, dans le fremissement des rayons, accomplir leur travail; et cette
vue, ils en jouissaient sans eprouver la moindre fatigue. De meme toute
la richesse et toute la beaute qui les environnait, la luxuriance des
recoltes, l'admirable ciel bleu sans nuage, le chant harmonieux et
infini des alouettes, qu'ils goutaient instinctivement.
--Voila comment devrait toujours etre la vie! disait Pierken.
Et il en serait certainement ainsi, affirmait-il, si les biens de la
terre etaient plus equitablement partages; si chacun remplissait sa
tache utile au monde et n'obtenait pas plus en retour qu'il ne meritait
reellement.
--Bon! le voila encore avec son socialisme! protestaient les autres,
mecontents.
--Ce n'est peut-etre pas vrai, ce que je dis! ripostait Pierken
vertement. Pourquoi sommes-nous ici a travailler aux foins et pourquoi
M. de Beule et le baron n'y travaillent-ils pas? Ne serait-il pas juste
qu'ils fauchent leur part, tout comme Free ou Ollewaert? Et serait-ce
donc trop demander
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