le etait si pauvre; elle
pleurait parce qu'elle etait si vieille, et aussi parce qu'elle ne
savait pas au juste a quel point elle etait vieille. C'etait stupide et
odieux, de la part des autres, de pretendre qu'elle ne pouvait pas
savoir si elle etait vivante ou morte; elles ne le disaient que pour la
tourmenter, elle le comprenait fort bien; et, pourtant, cette sotte idee
la chagrinait, l'obsedait, la rendait parfois tres malheureuse. Elle
habitait seule avec son vieux frere infirme dans une toute petite
bicoque que lui louait M. de Beule; en dehors de son travail a la
fabrique, elle avait encore a s'occuper de lui. C'etait bien dur. C'etait
presque au-dessus de ses forces. Elle le faisait neanmoins, tant bien que
mal, pour ne pas l'abandonner a des etrangers, et surtout ne pas devoir
l'envoyer a l'hospice des vieillards, qui etait l'epouvante de toute leur
vie.
Apres Natse venait Mietje Compostello. Sa lointaine origine espagnole se
trahissait dans toute son apparence. Elle avait la peau bistree, les
cheveux noirs, les sourcils epais et des yeux comme du velours. De tres
vieilles personnes, qui avaient connu sa grand-mere, affirmaient que
celle-ci etait noire comme une Mauresque. Mietje avait une voix sourde
et caverneuse et parlait toujours tres lentement, comme si les mots ne
s'echappaient qu'avec effort de ses levres bleuatres. Ce qu'elle disait
d'ailleurs etait rarement enjoue ou frivole. Mietje etait une nature
chagrine et pessimiste qui predisait souvent des calamites pretes a
fondre sur ce monde perverti. Elle etait tres devote, d'une intolerance
presque fanatique et parlait volontiers du Petit Homme de La-Haut, qui
ne manquerait pas de chatier les pecheurs et les pecheresses. Mietje eut
ete bien surprise et indignee si quelqu'un lui avait dit qu'il etait
profane de parler aussi familierement du bon Dieu. Dans sa pensee, elle
vulgarisait l'image du Seigneur, uniquement pour le rendre plus visible
et, pour ainsi dire, palpable. Mietje etait agee de soixante ans et
n'avait jamais songe a se marier. Et elle aussi, comme Natse, habitait
avec son frere, qui etait garcon de ferme; et le meme effroi de
l'avenir, qui torturait Natse, les hantait: l'hospice des vieillards!
Il y avait ensuite Lotje, personne ronde comme un tonnelet et dodue
comme une pelote. A la voir pour la premiere fois on eut certainement
cru qu'elle devait trop bien manger et boire. Luxe interdit, helas!
a Lotje, la pauvre! Son embonpoint etait m
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