e, attenue, assez bas pour n'avoir pas a craindre un "depart"
de M. de Beule, reaccouru en tempete.
D'habitude, quelques minutes apres la visite de M. de Beule a la
fabrique, M. Triphon faisait son apparition. Si le passage de Muche
annoncait la venue du premier, l'arrivee du second etait signalee
d'avance par la vue de son petit chien noir, Kaboul. Mais, de M.
Triphon, les ouvriers n'eprouvaient aucune crainte. Au contraire: ils
aimaient bien a le voir venir.
M. Triphon etait age de vingt-trois ans. Il etait grand, fort,
corpulent, avec une grosse figure rougeaude et boursouflee et des yeux
bleus a fleur de tete. Il avait le teint gate par force boutons et on
avait toujours l'impression, en le voyant, qu'il s'etait expose au feu,
en soufflant dessus de toutes ses forces pour l'attiser. Aussi les
ouvriers, qui avaient d'instinct le sens satirique, disaient souvent, en
le voyant venir, la face congestionnee: "Il a encore souffle dessus!"
Et, a les entendre, il mangeait et buvait avec exces.
M. Triphon avait quitte le lycee a dix-huit ans, apres des etudes
inachevees; et, depuis lors, il habitait chez ses parents ou, plus tard,
il devait succeder a son pere dans la direction de la fabrique. Il
connaissait vaguement le francais; il savait quelques mots d'allemand et
d'anglais; il avait des notions elementaires d'histoire et de geographie.
C'etait, avec les regles simples de l'arithmetique, a peu pres tout ce
qu'il avait appris et retenu. Il lisait regulierement le journal de
langue francaise auquel son pere etait abonne; et il possedait aussi une
petite bibliotheque d'une vingtaine de livres, des romans plutot grivois
pour la plupart, qu'il lisait parfois le soir, en cachette, dans sa
chambre, lorsque ses parents etaient couches.
Chaque jour, il travaillait au bureau pendant deux a trois heures, a
expedier des factures et a tenir les livres; pour le reste, rien a faire
qu'a flaner dans la fabrique, pour y controler la besogne des ouvriers.
Il y arrivait en general vers les huit heures et demie, au moment ou les
ouvriers, apres leur dejeuner, se disposaient a reprendre le travail.
Par beau temps, ils etaient encore accroupis dans la cour, alignes
contre le mur crepi a la chaux blanche. Un "bonjour, m'sieu Triphon"
l'accueillait et les hommes grattaient Kaboul a la poitrine, place
d'election de ses puces. Kaboul s'y pretait avec des contorsions
cocasses; les ouvriers rigolaient, et tout de suite prenaient un ton de
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