ils
etaient extremement reconnaissants.
Ainsi M. Triphon tuait-il les heures fastidieuses de l'apres-midi; puis,
regulierement, par n'importe quel temps, a cinq heures il se trouvait
avec Kaboul au coin de la grand'rue et du chemin allant a la fabrique.
C'etait le moment ou la cloche de l'eglise se mettait a tinter pour le
salut du soir. M. Triphon attendait la le passage des trois demoiselles
Dufour, qui ne manquaient jamais d'y assister.
D'allures raides et compassees, c'etaient trois vierges qui habitaient
au bout du village "le petit chateau", une demeure blanche aux volets
verts, entouree d'un beau jardin. Il les voyait venir de loin, sur un
meme rang, rasant les murs, comme des marionnettes articulees. A petits
pas presses, leur paroissien a la main, elles s'avancaient, les yeux
baisses. Lorsqu'elles passaient tout pres de lui, M. Triphon otait son
chapeau et s'inclinait. Elles lui rendaient son salut. Mademoiselle
Pharailde, l'ainee, mine pincee et peu avenante, avait quelque chose
de dur dans le regard. M. Triphon sentait en elle comme une sourde
hostilite. Mademoiselle Caroline, sa cadette, etait blonde et bouffie,
avec un visage incolore et des yeux fades. M. Triphon la trouvait
insignifiante et sans aucun charme. Mais mademoiselle Josephine, la plus
jeune, etait plutot jolie, avec une sorte de distinction elegante malgre
sa raideur; et elle lui rendait son salut avec une grace souriante et
gentille qui, a chaque fois, remuait quelque chose dans le coeur
impressionnable de M. Triphon. Il n'aurait pu dire s'il se sentait
amoureux d'elle; mais il croyait bien qu'il aurait pu facilement le
devenir. C'etait un tout autre sentiment que celui qu'il eprouvait en
presence de Sidonie. Celle-ci, il la voulait brusquement, a plein, d'une
passion brutale et violente; celle-la etait quelque chose de tres
eloignee de lui encore et que peut-etre il ne possederait jamais.
Du reste, il ne savait pas lui-meme s'il avait au fond envie de la
posseder. Peut-etre eut-il ete fort perplexe si, brusquement, quelqu'un
lui avait dit: "Voila ... tu peux l'avoir ... elle est a toi!" En elle,
ce qui l'attirait, c'etait, outre sa gentillesse exterieure, ce cote meme
qui aurait du l'en eloigner: sa raideur, les dehors fermes, inaccessibles
qu'elle avait en commun avec ses soeurs. Il la voyait comme un motif
d'elevation, de regeneration dans sa vie, qu'il sentait bien veule et
terre a terre. Surtout lorsqu'il sortait des bras de la jolie
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