lier.
M. Triphon en prenait note.
--Mille kilos tourteaux colza ... he ... he ... pour Louis Van Daele.
Pol bafouillait un peu lorsqu'il avait bu et dans sa memoire il semblait
y avoir des trous. Il etait la, un moment immobile, trapu et penche en
avant, sa grosse face marquee de petite verole, congestionnee, contractee
par l'effort de la pensee, pendant que ses betes, a-demi deharnachees, se
secouaient avec impatience et faisaient tinter les gourmettes de leur mors.
--Tranquille donc, nom de Dieu! criait-il alors avec colere.
Et, du coup, il savait ce qu'il avait encore a dire:
--Huit cents kilos farine de froment ... he ... he ... pour Bruun Roetjes.
--C'est tout, Pol? demandait M. Triphon.
--Si c'est tout, m'sieu Triphon? Hehe ... tout et pas tout. Une goutte
ferait rudement du bien par ce sale temps.
--Tu en as deja eu assez, il me semble, grommelait M. Triphon.
Et il se dirigeait vers Guustje.
--Bonsoir, m'sieu Triphon! jetait Guustje, le verbe haut.
--Bonsoir, Guustje.
--Deux mille cinq cents kilos farine de lin pour Feel Vervenne! hurlait
Guustje.
Il avait une voix tonitruante, criait toujours en vous parlant, comme si
vous vous trouviez a des distances.
--Sept cents kilos farine de lin pour Guust de Maeght!
M. Triphon notait.
--Et quinze cents kilos tourteaux de colza pour Pierre de Vriendt!
beuglait Guustje d'une voix qui sonnait certainement jusqu'au fond de la
"fosse aux huiliers".
--Tout? demandait M. Triphon.
--Tout! repondait Guustje. A moins, m'sieu Triphon, ajoutait-il en riant
d'un rire enorme, a moins que vous n'ayez pour moi une cuisse de poulet
froid, avec de la salade. C'est ca qui serait fameux, par ce temps de
chien!
--Je m'en contenterais aussi, Guustje, disait M. Triphon en fermant son
calepin.
Et il quittait les charretiers, pendant que les quatre chevaux,
debarrasses de leur equipage, s'en allaient d'un pas pesant vers l'auge
accoutumee dans l'ecurie.
Alors la tache journaliere etait terminee pour M. Triphon. Dans
l'obscurite, a travers le jardin, il rentrait prendre le repas du soir
avec ses parents. Le souper prepare par Sefietje etait simple mais tres
bon; et Eleken, la femme de chambre, servait a table, avec des
mouvements silencieux et prestes. Elle semblait y mettre une hate
febrile, comme s'il lui tardait d'en avoir fini et si elle ne respirait
pas a l'aise dans l'atmosphere de la famille. A table, M. de Beule
parlait exclusivement de s
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