illeurs, ne tenaient jamais bien longtemps. Pour cela,
M. de Beule etait d'un caractere trop impetueux et inconsequent.
D'habitude, les ouvriers reconnaissaient vaguement leurs torts,
faisaient des excuses, et le patron pardonnait. Pour Pierken, neanmoins,
cela avait failli tenir pour tout de bon. Avec les doctrines subversives
du socialisme M. de Beule ne transigeait pas. Sa femme avait du
intervenir pour le calmer; mais il n'en gardait pas moins une sourde
rancune contre Pierken et ne le tolerait qu'avec peine dans sa fabrique.
M. de Beule nourrissait d'autre part une haine instinctive contre son
personnel feminin; la "fosse aux femmes" etait un de ses endroits de
predilection pour "partir". Il les trouvait toutes, sans distinction,
incapables et paresseuses; elles ne meritaient pas meme, a l'entendre,
la moitie du miserable salaire qu'il leur attribuait. Il parlait souvent
de balayer "tout ce fourbi-la", si ca ne changeait pas; et la seule
femme qui put trouver grace a ses yeux, c'etait Sefietje, parce que
celle-la defendait ses interets a lui, vis-a-vis meme des autres
ouvrieres, et qu'elle se soumettait avec une servilite absolue a tout
ce qu'il lui plaisait d'exiger d'elle.
Aux femmes il causait une veritable terreur. A simplement apercevoir de
loin le bout de la queue de Muche, l'angoisse leur etreignait le coeur,
et, tant qu'il restait dans leur "fosse", elles ne soufflaient mot, sauf
pour repondre a une question formelle et directe. Lorsque M. de Beule
avait enfin referme la porte derriere lui, la vieille Natse etait
generalement en larmes, et les joues des jeunes filles, brulantes d'emoi
apeure. Seule, Mietje Compostello, avec son teint de meridionale,
paraissait alors plus jaune et plus tannee que jamais; ses lourds
cheveux noirs, ses yeux sombres, faisaient penser a des ailes et des
yeux de corbeau, ajustes sur un masque macabre.
Par bonheur pour eux tous, jamais M. de Beule ne s'attardait longuement
dans la fabrique. Il etait assez souvent en route pour ses affaires et
il avait aussi son travail de bureau. Bientot il disparaissait comme il
etait venu, pilote par Muche; et, lui parti, la vie renaissait. Un vaste
soupir de soulagement semblait s'exhaler de toute la fabrique. Ollewaert
se calait la joue d'une chique fraiche; Free souriait comme un geant
malicieux; Feelken susurrait un "Fikandouss-Fikandouss", et meme Leo se
risquait parfois a lancer son terrible "Oooo ... uuu ... iii ...", mais
en sourdin
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