s se tordaient de rire. Mais, ce qu'il y avait de plus curieux,
c'est qu'a se laisser dire quelque chose qui eut ete reellement de
nature a faire rougir une jeune fille, Victorine restait tres calme et
ne rougissait pas du tout. "Vraiment!... vraiment!..." disait-elle alors
en faisant l'etonnee; et, s'ils insistaient un peu fort, elle leur
servait une reponse, qui leur clouait proprement le bec. Seulement,
lorsqu'on parlait devant elle de Pierken, "l'huilier", elle ne savait
plus ou tourner la tete. Dans la fabrique on la disait amoureuse de
Pierken, qui acceptait cet hommage sans trop s'en emouvoir. On les
voyait parfois ensemble, en conversation assez intime; mais Pierken
avait toujours l'air si serieux et preoccupe, que l'on se demandait quel
attrait il pouvait bien trouver dans la frivole compagnie de cette
petite sotte. Aussi l'attrait des contrastes, peut-etre, comme chez
Poeteken et "La Blanche". Victorine demeurait avec ses parents dans une
des plus miserables masures d'une obscure et infecte ruelle; chaque
matin elle venait a la fabrique avec son pere et s'en retournait le soir
avec lui.
IV
Elles etaient donc la, toutes les six, assises dans une salle basse aux
noires solives, dans le jour vague de deux fenetres aux petits carreaux
enchasses de plomb, qui donnaient sur la cour interieure de la fabrique.
Les murs etaient grisatres et les sacs qu'elles cousaient ou reparaient,
avaient la couleur terreuse d'un tas de haillons. Elles jabotaient fort
en travaillant, se racontaient les histoires et les cancans du village.
Parfois elles chantaient en choeur, sur un ton nasillard et lent, de
melancoliques melopees flamandes. D'autres fois, elles recitaient des
prieres, des _Pater_ et des _Ave_ avec des voix blanches et monotones,
qui faisaient penser aux litanies que l'on debite au chevet des
moribonds. La voix grave et caverneuse de Mietje Compostello dominait
alors les autres, comme si elle eut fait la narration vecue des sombres
cataclysmes qu'elle se plaisait a predire. Par les petits carreaux
ternes passait un peu de la vie de l'usine: les charretiers qui allaient
et venaient, leurs camions lourdement charges; les paysans, avec leurs
carrioles et leurs brouettes, qui venaient prendre des tourteaux ou de
la farine. L'ete, il faisait frais dans leur "fosse", car le soleil n'y
donnait guere que deux a trois heures par jour; mais l'hiver on y
gelait. Les fleurs blanches du givre y couvraient les vitres tout
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