es papas mettaient les leurs en poche pour les
petiots a la maison. Le forgeron etait un homme amusant. Il se nommait
Justin. C'etait un grand conteur d'anecdotes, mais qui mettait tant
d'exageration dans ses histoires, qu'on ne l'appelait jamais autrement
que Justin-la-Craque. Surtout lorsqu'il avait quelques petits verres
dans le nez--ce qui arrivait a peu pres tous les jours,--il devenait
d'une fantaisie extraordinaire. Mais alors il etait aussi fort irascible;
et, quand on se moquait trop ouvertement de lui et des mensonges flagrants
qu'il debitait, il se fachait tout rouge. Il trepignait de colere et
grincait des dents; mais tout ca, c'etait pour la frime: et lorsqu'on
persistait a se ficher de lui, il partait dans un acces de rage simulee
et s'en allait debiter ses bourdes ailleurs. En dehors de son etat de
forgeron, il etait chantre a l'eglise et faisait partie de la societe
chorale du village. Il etait tres fier de cette derniere qualite et
donnait volontiers un echantillon de son talent, surtout quand il etait
emeche. Son air favori, son triomphe, c'etait _l'O Pepita_. Une chose
ahurissante, cet _O Pepita_! Un choeur sans autres paroles que ces seuls
mots, repetes sur tous les tons imaginables: "O Pepita ... O Pepita ...
O Pepita!..." Justin y faisait la partie du baryton, mais il etait aussi
capable de remplacer le tenor ou la basse. Il s'avancait vers vous,
s'arretait, roide et immobile, vous regardait bien en face, de ses yeux
vitreux d'alcoolique; et lentement il commencait sur un ton tres bas,
tres assourdi:
--Oooooooooooo....
Sa voix s'enflait, barytonnait; sa bouche s'ouvrait plus large et il
entonnait:
--Peee ... pepepe ... pepeeee...!
Brusquement il atteignait les notes elevees; ses yeux chaviraient et il
miaulait:
--Piiii ... pipipi ... pipiiii...!
Il etait difficile d'en entendre davantage sans pouffer de rire. Les
ouvriers de la fabrique trouvaient cet air affolant et s'en tapaient les
cuisses. Ils s'exclamaient, l'entouraient et attaquaient a leur tour
_l'O Pepita_ pour le stimuler encore. Mais cela ne reussissait pas
toujours. Justin-la-Craque supportait mal qu'on le troublat dans son
exercice. Brusquement, il s'arretait, hochait la tete avec vigueur et,
quoi qu'on fit, refusait de continuer. Non ... non ..., il ne voulait pas
qu'on l'embetat. Kamiel, son aide, qui generalement l'accompagnait,
avait alors un petit rire meprisant et du doigt se touchait le front en
secouant la tete, c
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