omme pour indiquer que le patron etait parfois un peu
marteau. Kamiel qui etait un Flamand de la Flandre occidentale,
prononcait son nom avec l'accent de ce pays, et a l'usine on l'appelait
"Komel", en ricanant. Il y avait envers lui cette nuance de mepris
qu'ont les uns pour les autres les gens des deux Flandres; et on se
moquait aussi de son grand nez d'ivrogne, rouge comme une flamme dans
son visage de suie. Komel etait celibataire et, de meme que Berzeel,
buvait jusqu'a son dernier centime; mais, a rencontre de Berzeel, qui
avait l'alcool mauvais, agressif et tapageur, Komel, ivre, ne soufflait
mot. Il fallait tres bien le connaitre, pour s'apercevoir qu'il avait
bu. Seul, le grand nez rouge en temoignait.
V
C'etait pendant cette petite demi-heure benie, ensoleillee et libre,
court repit qui coupait si agreablement la grise monotonie du travail
force dans les "fosses" lugubres, que Pierken, malgre la defense
formelle de M. de Beule, faisait part en cachette aux autres ouvriers,
de la sagesse sociale qu'il puisait chaque matin dans son petit journal.
Il ne tarissait pas; il savait raconter des choses, toujours nouvelles,
toujours autres; peu a peu ses paroles s'infiltraient en eux et
deposaient un ferment de douleur et de tristesse dans leur esprit
ignorant. C'etait bien dommage que Pierken reprit toujours la meme
antienne, car la bienheureuse demi-heure en etait plus d'une fois gatee.
Et, pourtant, ils l'ecoutaient volontiers pour dire a leur tour ce
qu'ils en pensaient, car tout cela les captivait et les troublait
profondement.
Ils etaient rares, ceux qui partageaient completement les idees de
Pierken et qui avaient sa foi robuste en l'avenir. La vieille Natse, qui
avait tant vu et souffert dans sa vie, hochait la tete en silence, ou
disait que c'etait trop triste et que ca la ferait pleurer; et Mietje
Compostello opposait un argument qu'elle repetait en une obstination
farouche:
--Il y a toujours eu des pauvres et des riches en ce monde et il y en
aura toujours. C'est le Petit Homme de La-Haut qui le veut.
--Des betises! retorquait vivement Pierken en se montant. Pourquoi donc,
dis-moi, devrait-il y avoir toujours des pauvres et des riches sur
terre? Et pourquoi faudrait-il que ce soit toujours au tout des memes a
etre riches et au tour des memes a rester des pauvres? Ou est-ce ecrit?
Ou voyez-vous ca, que votre bon Dieu ait dit des choses pareilles!
--C'est tout de meme vrai, repondait Mietje
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