Les hommes s'en moquaient
en disant qu'elle avait deux dos: un par devant et un par derriere.
Quelques-uns meme avaient trouve cette definition de la partie avant:
"deux petits pois sur une planche". Et, pourtant, jadis Sefietje n'avait
pas ete absolument indifferente au charme masculin: elle avait meme ete
fiancee. Une qui la connaissait bien, cette histoire-la, c'etait Natse,
car c'etait chez elle que les rendez-vous avaient eu lieu. Oh! ces
rencontres de Bruteyn et de Sefietje, il fallait les entendre conter par
Natse! La vieille en levait encore les bras au ciel, lorsqu'elle en
parlait. Bruteyn habitait assez loin et ne pouvait venir que rarement
voir sa promise. Il arrivait vers les trois heures et, d'ordinaire,
Sefietje se trouvait deja chez Natse a l'attendre. Il entrait lentement,
la pipe a la bouche, la casquette sur l'oreille, en se balancant sur ses
jambes un peu torses. Ils se saluaient sans meme se donner la main:
"bonjour Alois, bonjour Sophie"; et, ma foi, c'etait la a peu pres tout
ce qu'ils se disaient. Chaque fois, Natse leur offrait sa salle pour
qu'ils pussent causer a l'aise, mais Sefietje ne voulait rien savoir et
refusait obstinement. Raide et plate comme une limande, les joues en
feu, elle restait la sur une chaise a cote de lui; et sitot qu'il
essayait seulement de lui toucher la main, elle se retirait hargneuse
en grommelant: "Tiens-toi donc convenablement!" Le brave homme,--car
c'etait un tres brave homme, affirmait Natse,--avait supporte cela tout
un temps, jusqu'au jour ou, brusquement, il en eut assez et ne revint
plus.
Alors, Sefietje avait langui et souffert, indiciblement. Elle avait tout
mis en oeuvre pour le faire revenir; elle avait gemi, pleure, supplie,
mais en vain. Bruteyn en avait assez et ne s'y laissait plus prendre.
De ce jour datait, selon Natse, la haine feroce, irreconciliable, que
Sefietje avait vouee aux males et a l'amour.
Les autres ouvrieres, surtout les jeunes, raffolaient de ces histoires.
Jamais elles n'en etaient rassasiees et elles suppliaient Natse d'en
raconter plus long. Mais Natse se mefiait; elle craignait que cela ne
vint aux oreilles de Sefietje et que celle-ci par vengeance ne la fit
renvoyer de l'usine. Ou irait-elle alors? A l'hospice des vieillards,
la terreur de toute sa vie....
Ainsi se passaient les longues journees de labeur, ou les seules
distractions etaient le repas de midi chez elles, et la tartine a quatre
heures avec la goutte du soir a
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