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journee; rien de la vie du dehors n'y penetrait plus et toutes avaient
les pieds sur des "potes" en terre cuite, dont elles secouaient de temps
en temps la cendre et attisaient la braise.
L'apparition de Sefietje avec sa bouteille, vers dix heures, etait un
instant de delicieux reconfort. Jeunes ou vieilles, toutes vidaient avec
joie le verre d'alcool; et cela les ranimait. Elles faisaient un bout de
causette avec Sefietje, qui avait bien le temps alors et s'asseyait
volontiers sur une chaise, bouteille et petit verre en main. On parlait
des autres ouvriers, surtout de ceux de la "fosse aux huiliers", qui
etaient encore plus mauvais sujets que tous les autres. Sefietje
detestait les hommes, tous les hommes. Elle etait hostile a l'amour, a
l'union des sexes sous n'importe quelle forme, meme au mariage legal et
beni par l'Eglise. A coups d'insinuations plus ou moins voilees, elle
deblaterait contre tout ce qui se passait a la fabrique. Infailliblement
tous ces menages finiraient mal, predisait-elle, par inconduite et abus
du genievre. Elle ne pouvait admettre que M. de Beule gardat dans son
usine des ivrognes inveteres comme Berzeel et ce voyou de Free; elle
n'epargnait pas Ollewaert, le petit bossu, en presence de sa fille
Victorine. Pierken lui-meme ne lui disait rien qui vaille; il faisait
bien semblant de ne pas s'interesser aux femmes, mais au fond c'etait un
suborneur sournois; et elle prevenait formellement "la Blanche" d'avoir
a se mefier des assiduites de Poeteken: ce petit bout d'homme serait
fort capable d'embobiner une femme. Et, meme a l'egard de M. Triphon,
elle ne se genait pas pour dire son opinion; en des allusions
transparentes a son attitude envers Sidonie, elle enoncait comme une
maxime absolue, que des relations entre gens d'une condition sociale
trop differente, ne pouvaient amener que malheurs et larmes.
Les vieilles, c'est-a-dire Natse, Mietje Compostello, et meme Lotje,
trouvaient que Sefietje avait bien raison. Les jeunes, au contraire,
riaient un peu, mais ne se sentaient pas tout a fait a l'aise. Elles
aimaient bien voir venir Sefietje a cause de la petite goutte; mais
elles etaient bien contentes aussi quand elle repartait, pour ne plus
entendre toutes ces insinuations malignes et ces propheties de malheur.
Du reste, qu'est-ce que Sefietje pouvait bien y entendre, a ces
choses-la! A la voir, laide, maigre, fletrie, sans hanches ni poitrine,
on eut dit qu'elle n'avait jamais ete jeune.
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