hommes" et
separe par une cour interieure, se trouvait, dans un batiment a part,
l'atelier des femmes. Elles etaient six et, du matin au soir, ne
faisaient autre chose que coudre et reparer des sacs.
Natse etait la plus agee. Elle devait etre tres tres vieille, mais nul
ne connaissait exactement son age, qu'elle-meme ignorait. On avait
commis une erreur, a l'etat civil du village, a "l'epoque francaise".
Elle avait eu une soeur, plus jeune ou plus agee qu'elle (Natse ne
savait pas au juste), morte en bas-age, et qui portait le meme prenom.
D'ou confusion et erreur. Jamais on ne put savoir avec certitude si
Natse etait portee comme morte ou comme vivante sur les registres.
N'importe, la Natse vivante devait avoir ete bien belle dans sa jeunesse.
Aujourd'hui encore, malgre son grand age, elle avait conserve des traits
d'une finesse et d'une purete remarquables, a peine ravages par les
profondes rides des annees. Le nez avait garde une ligne tout a fait
gracieuse, les sourcils s'arquaient sans defaillance, et les dents
etaient restees absolument intactes. Natse repetait avec complaisance
qu'elle n'avait jamais su ce qu'etait le mal de dents. Mais le corps
etait tout ratatine. La, les annees de dur travail avaient accompli leur
oeuvre. Tant que Natse demeurait assise on ne s'en apercevait guere,
mais des qu'elle se mettait debout et commencait a marcher, on eut dit
d'un bateau qui penche et louvoie. Ses compagnes, les jeunes surtout,
s'en moquaient parfois, ce dont Natse etait tres vexee. "Lorsque vous
aurez mon age, vous aussi marcherez de travers", bougonnait-elle. Mais
aussitot qu'elle entamait ce chapitre, les autres l'agacaient de plus
belle. L'incertitude de Natse touchant son age offrait matiere aux
plaisanteries, qui allaient leur train:
--Mais enfin, Natse, quel age as-tu au juste? demandaient-elles en
ricanant.
--L'age que le bon Dieu m'a donne, repondait Natse d'un air pince et
peremptoire.
Certains jours, les autres s'en tenaient la. Parfois, au contraire,
elles s'amusaient a la pousser:
--Oui ... l'age que le bon Dieu t'a donne...; tout ca c'est bel et bien,
Natse; mais n'est-ce pas a ta soeur plutot? En somme, tu ne sais pas au
juste si tu es vivante ou morte!
--Vous etes des chipies! grondait Natse; outree.
Et elle fondait en larmes. Elle pleurait beaucoup, pour la moindre chose
et, souvent, sans raison aucune. Elle pleurait parce que la vie pour
elle etait si dure; elle pleurait parce qu'el
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