fois tres doux et pleins de vie. Cette
beaute et cette fraicheur etonnaient comme un miracle dans l'oppressante
claustration de la fabrique. On eut dit une belle fleur saine dans une
sombre cave.
M. de Beule avait longtemps hesite avant de l'accepter a l'usine. "C'est
une petite demoiselle", avait-il dit avec mauvaise humeur a sa femme,
lorsque la jeune fille etait venue se presenter. Mais Sidonie possedait
l'appui d'une amie de Mme de Beule et cette circonstance avait a la fin,
non sans peine, fait pencher la balance en sa faveur.
Sidonie, en effet, faisait l'impression d'une personne elegante au
milieu de ces femmes fletries par le labeur. Elle y apparaissait comme
un objet de luxe, une jolie chose depaysee. Les autres la jalousaient un
peu. Elles en voulaient a sa jeunesse, a sa fraicheur, a ce soupcon de
coquetterie, dont elle aimait a se parer.
Elle ne portait jamais l'accoutrement terreux et sale de toutes les
autres; dans sa mise, il y avait toujours un rien qui la distinguait: un
bout de ruban, un noeud, une couleur, qui mettait une note vivante, qui
souriait. Cela offusquait les autres. Elles l'excluaient parfois de
leurs confidences, avaient pour elle de vagues secrets, a mots couverts
parlaient d'histoires, sans qu'elle fut au courant. Elles la traitaient
a part, sans hostilite formelle, mais aussi sans amenite; et les hommes,
qui la detestaient franchement, sans doute parce qu'ils n'avaient aucun
succes aupres d'elle, parfois l'appelaient "madame", en ricanant.
Madame...! Il y avait encore une autre raison a ce titre qu'ils lui
donnaient; et c'etait surtout cette raison-la qui excitait la colere
sourde, la jalousie et le mepris des autres femmes.
C'etait a cause de M. Triphon, le fils de M. de Beule ... Chaque jour,
M. Triphon, ainsi que son pere, faisait des rondes dans la fabrique, pour
controler l'ouvrage, et ne manquait jamais d'aller jusqu'a "la fosse aux
femmes", comme les ouvriers designaient la partie de l'usine ou elles
travaillaient. Que M. Triphon y allat, c'etait tout naturel et les
ouvriers n'y trouvaient rien a redire. Mais que diable avait-il a rester
si longtemps, chaque jour, dans la "fosse aux femmes?" Pourquoi s'y
attardait-il ainsi a bavarder, fumer des pipes et faire executer des
tours a son petit chien? Jadis on l'y voyait a peine et il y demeurait
tout juste le temps de dire bonjour et de voir que tout le monde y etait
au travail. Depuis la venue de Sidonie, tout avait brusque
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