chef
spirituel de l'equipe grace a ces blagues qu'il cueillait dans son petit
canard. Leo etait l'homme dont on avait toujours besoin quand il
s'agissait d'une besogne exigeant une grande celerite et une force
physique peu ordinaire. Dans ces cas-la, d'ordinaire, on lui demandait
son aide comme une faveur, et rarement en vain, car il etait fier de sa
force et de son adresse. Si le hasard voulait qu'il fut dans une de ses
heures renfrognees, il acquiescait d'un simple signe de tete sans
prononcer un mot; mais s'il etait dans une de ses heures folles, il
repondait par une sorte de cri effroyable, un "oui" qui se decomposait
en "Oooo ... uuuuu ... iiiii ...", un long rugissement rauque et tellement
sonore qu'il dominait entierement le vacarme effrene des pilons et, a
travers le jardin, allait retentir jusque dans la maison: M. de Beule en
sursautait ses registres et parfois accourait avec effarement demander a
la fabrique quel malheur etait arrive. Les hurlements sauvages et sans
motif mettaient le patron hors de lui; mais au moment ou il arrivait en
trombe, c'etait generalement fini; et il devait se contenter de vagues
menaces contre ceux qui se conduisaient comme des betes fauves et
meriteraient d'etre enfermes dans une cage, ou une maison d'alienes.
M. de Beule et son fils,--surtout son fils,--n'aimaient pas du tout Leo,
qu'ils consideraient comme une brute dangereuse. Mais ils se seraient
bien gardes de le renvoyer: il faisait l'ouvrage de deux!
Apres Leo, Poeteken. Il etait bon que le delicat Poeteken eut sa place
a cote du vigoureux Leo, car l'aide du fort suppleait bien des fois a
l'insuffisance du faible.
Poeteken etait tres petit, tres noir, tres maigre. On eut dit un gnome,
et chaque fois il lui fallait se dresser sur la pointe des pieds pour
atteindre le cable de son pilon. Tout de meme, il etait plus resistant
qu'on aurait pense a premiere vue. Il etait bien proportionne, sous un
tout petit format, mais sans tares apparentes et il faisait son travail
comme les autres. C'etait un petit homme silencieux, tres renferme, avec
de grands yeux pensifs. La plupart du temps il ne disait rien, mais
parfois il etait bien oblige de sourire malgre lui aux farces de Leo
et des copains; et alors son petit visage s'animait soudain d'une vie
intense, et ses yeux brillaient d'une passion ardente. Cette passion
etait reellement en lui, profonde et cachee. Poeteken, le nabot, le
gosse, le petit bout d'homme etait serieusement
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