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urs? Pourquoi M. de Beule et son fils, qui travaillaient seulement lorsqu'il leur plaisait de travailler, pouvaient-ils vivre dans le luxe et l'abondance, alors qu'eux, les pauvres bougres, devaient trimer chaque jour, du matin au soir, toute leur vie, sans aucun espoir de gagner jamais autre chose que leur miserable pain quotidien? Ce probleme accablant, que Pierken ruminait constamment, le rendait bien souvent morose et triste. Cela ne se traduisait pas en mauvais vouloir ni esprit de revolte; mais Pierken etait mecontent, toujours et en toute chose mecontent de son sort; et il s'acquittait de son travail uniquement par contrainte, sans la moindre satisfaction ni joie. Pour rien au monde il ne serait reste a son etabli une minute de plus qu'il n'etait strictement necessaire. Le samedi, lorsqu'il recevait sa paye, a peine grommelait-il un sourd merci, estimant que c'etaient plutot les maitres qui avaient a le remercier, en raison de la valeur considerable qu'il leur avait fournie en travail, pour la misere qu'ils lui donnaient en retour. M. de Beule et M. Triphon, son fils, n'aimaient pas du tout Pierken et plus d'une fois il avait ete question de le renvoyer. Ils hesitaient encore par egard pour Berzeel, qui etait un excellent ouvrier quand il n'avait pas bu; mais M. de Beule lui avait defendu sur un ton peremptoire d'apporter a la fabrique ce sale petit canard et d'en lire des passages a haute voix pendant les repos du matin et de l'apres-midi. Aupres de Pierken se trouvait Leo. Age de quarante ans, Leo etait trapu, rable et fort comme un petit taureau. Parfois, durant des demi-journees, il se renfermait dans un mutisme concentre et morose, pour en sortir brusquement, en une explosion de cris, de rires, d'exclamations, dont toute la fabrique retentissait. Lorsqu'il etait dans un de ces moments de capricieux silence, il valait mieux le laisser a sa lubie, sinon on avait bien vite maille a partir avec lui; et lorsqu'il etait dans une de ses heures folles, il etait preferable de s'ecarter de son chemin, car il vous aurait renverse, rien que pour le plaisir de vous voir par terre et de danser la gigue autour de vous. En realite, de tous les ouvriers de la fabrique, il etait le plus fort, le meilleur, le plus agile et le plus endurant. Et, comme il le savait tres bien, il supportait assez mal que Pierken, par exemple, qu'il considerait comme un feignant, prit de ces airs de superiorite intellectuelle et se posat un peu en
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