cipitait
sur elles, comme pour les violenter. C'etait pure bouffonnerie, d'ailleurs.
Il recevait une gifle et se sauvait, avec un rire, disant que c'etait
"Fikandouss-Fikandouss".
Et, enfin, dernier de la longue rangee, se tenait Ollewaert, le petit
bossu. Court sur pattes, il portait toujours un pantalon trop long et
trop large, qui lui retombait sur les pieds. Sa bosse s'avancait presque
en pointe, et son visage presentait comme une autre bosse en reduction:
l'enorme chique de tabac eternellement pressee contre l'une ou l'autre
de ses joues. Les bossus sont mechants, dit-on couramment; mais il
n'etait pas mechant du tout; bien au contraire, la bonte meme. Quoi
qu'on lui fit, il ne se fachait jamais. C'etait une manie habituelle
chez ses camarades, en passant de lui tapoter sa bosse; une autre
taquinerie, de presser du doigt la joue a la chique, pour que le jus de
tabac lui coulat sur le menton. Il ne s'en fachait pas. Jamais il ne se
fachait. Il vous regardait en souriant, comme pour dire: "Allez-y, si ca
vous amuse; moi, ca m'est egal." Il n'avait qu'un vice: il buvait trop.
"Il se noierait dans le genievre; il est encore pis que Free!" disaient
les autres. Et, en effet, Ollewaert etait fou d'alcool et pret a toutes
les bassesses pour en avoir. Non seulement il troquait regulierement sa
tartine de quatre heures contre la goutte de six heures d'un des autres
ouvriers (il appelait ca "avaler une tartine de goutte"), mais il
acceptait parfois des paris crapuleux pour gagner un petit verre de
rabiot. Par exemple, M. Triphon avait un petit chien noir plein de
puces, qui suivait son maitre a la fabrique et s'attardait parfois dans
la "fosse aux huiliers", ou il recoltait quelques bribes. Les ouvriers,
en jouant avec le chien, lui grattaient le poil du devant et du dos. Ils
attrapaient quelques puces et disaient a Ollewaert:
--Ollewaert, je te donne ma goutte si je peux y mettre trois puces de
Kaboul.
--Donne! repondait Ollewaert sans hesiter.
Les trois animaux plonges dans le verre, Ollewaert le vidait d'un trait,
sans sourciller. L'equipe partait d'un rire formidable en se tapant les
cuisses.
Ces exces d'alcool lui etaient d'ailleurs fatals. Periodiquement,
Ollewaert etait pris de crises d'epilepsie. D'un coup brusque parfois,
sans que rien trahit l'approche de la crise, il s'effondrait a son
etabli en des convulsions terribles. Ses yeux se revulsaient; ses
machoires serrees pressaient le jus de chique qui lui
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