epris d'une des
ouvrieres de la fabrique: Zulma, surnommee "La Blanche", la pauvre
albinos, blanche de cheveux, blanche de sourcils, blanche de tout, celle
que Bruun, le chauffeur, s'efforcait de "chauffer". Les autres ouvriers
s'egayaient follement de ces surprenantes amours. Ils ne rataient jamais
une occasion de s'en amuser; les enfants, disaient-ils, s'il en naissait
d'une telle union, seraient mouchetes, blanc et noir, comme des chiots.
Poeteken souriait, laissait dire, ne repondait rien a ces allusions
d'ailleurs sans mechancete. Seul, Bruun, mauvais, ne supportait pas les
familiarites de Poeteken a l'egard de "La Blanche". D'une jalousie
feroce, il les epiait sans cesse: lorsqu'ils se trouvaient a proximite
l'un de l'autre, on le voyait guetter par des trous de serrure et des
fentes de porte, en poussant de sourdes exclamations: "Comment est-il
possible, une si belle femme avec ce mal foutu!"
A cote de Poeteken se trouvait Free, bon geant aux epaules carrees, a la
poitrine fortement bombee. Avec son apparence herculeenne, il etait en
realite d'une sante plutot chancelante, car il souffrait beaucoup de
l'asthme. On le voyait parfois haleter a son etabli, comme un poisson
hors de l'eau. Cela durait souvent des jours entiers, ou il faisait
triste figure. Mais, la crise passee, il semblait renaitre a la vie; et
alors il n'y avait pas d'homme plus amusant, plus spirituel dans toute
l'equipe. Surtout avec les femmes il etait drole. Non pas qu'il leur fit
la cour le moindrement; mais il savait dire, d'un air tranquille et
souriant, des choses d'un cynisme effarant, qui empourpraient le visage
des ouvrieres, pendant que les hommes se tordaient de rire. En general
les femmes le haissaient. Elles ne l'appelaient jamais autrement que
"le grand voyou" et ne se genaient pas pour lui jeter ce nom a la face.
Alors Free souriait calmement dans sa barbe rugueuse et, d'un seul mot
bien tape, les faisait fuir comme si c'eut ete le diable. Et chaque fois
que Sefietje apparaissait, matin et soir, avec la bouteille de genievre,
c'etait toute une scene: Free, grand amateur d'alcool, ne pouvait
neanmoins s'empecher de lutiner la vieille fille, qui, regulierement,
essayait de se venger en ne remplissant pas son verre jusqu'au bord.
Free faisait semblant de ne rien voir, mais ne touchait pas a sa goutte.
--Allons, grand voyou, buvez, je n'ai pas de temps a perdre, grommelait
Sefietje.
--Est-ce qu'il est deja plein? s'ecriait Free en
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