ce des Gentils avec les
traditions catholiques.
Mais il lui importait plus encore de se laver de toute connivence avec
ceux qui ne consultaient les Gentils que pour s'ecarter de l'Eglise,
qui abusaient des sciences du siecle et corrompaient le dogme par la
dialectique. La philosophie de son temps, comme de tout temps, etait
prevenue d'incredulite et de libertinage; pour lui, comme pour ses
successeurs, restait la commune ressource de dire qu'il y a deux
philosophies, la vraie et la fausse, et nous le verrons chercher a se
disculper de son attachement a l'une en s'acharnant contre l'autre. Il
declamera avec violence et, s'il le faut, avec fanatisme contre ceux
qu'il se complait a nommer les pseudo-philosophes. Plus franche et
plus hardie, et comme pour achever sa pensee, Heloise appelait les
adversaires de son epoux du nom injurieux que saint Paul donnait a ses
calomniateurs: saint Bernard etait pour elle un pseudo-apotre[272].
[Note 272: II Cor. XI, 13.--Voy. t. I, p. 167 et _Ab. Op._, ep. II, p.
42.]
Quand la dialectique, meme circonscrite dans de certaines bornes par une
intention chretienne, penetre dans le dogme, elle peut toujours alterer
ce qu'elle explique et reduire le mystere a sa plus simple et a sa trop
simple expression, en l'interpretant suivant la science; elle-meme, et
pour son propre compte, elle n'a ete que trop accusee d'etre une science
de mots. Une orthodoxie dialectique risque donc aussi de n'etre qu'une
orthodoxie nominale. Le philosophe peut, dans toute l'energie du terme,
n'etre _chretien que de nom_. C'est de ce danger qu'Abelard tache de se
preserver; il s'attache a combattre, a detruire toutes les objections
de l'heresie contre la Trinite; il prend soin de separer et meme de
garantir sa doctrine de tout contact avec l'erreur de Roscelin. "Quant
on lit aujourd'hui les deux ouvrages incrimines," dit M. Cousin, "on y
trouve la dialectique placee a la tete de la theologie et l'esprit cache
du nominalisme y minant les bases du christianisme, au lieu de les
attaquer directement[273]." En revoyant ses arguments, Abelard semble
avoir pressenti cette grave critique qui l'attendait encore apres six ou
sept siecles, et il a pris grand soin d'etablir le caractere orthodoxe
de sa doctrine sur la Trinite.
[Note 273: _Ouvr. ined. d'Ab._, Introd., p. cxvii.]
Recueillons maintenant la substance de ce qu'il dit de neuf ou
d'important sur ces trois points: l'autorite des philosophes, l'abus de
la dial
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