e qui se dit dans
l'eglise fatigue, ennuie de tels auditeurs. C'est un fardeau pour
eux que de faire l'oblation aux autels du Christ; et jusque dans les
solennites de la messe, pendant l'espace d'une heure, ils ne peuvent
sevrer leur langue de propos vains. Toute leur ame brule pour le dehors
et aspire a la cour des demons, aux conventicules d'histrions. C'est
la qu'ils sont prodigues d'offrandes, et attentifs avec le plus grand
silence et la plus grande passion a la predication diabolique. Mais
apparemment c'est peu de chose pour le diable que ce qu'ils font hors du
sanctuaire des basiliques, s'il n'introduit pas dans l'eglise de
Dieu les turpitudes de la scene. O douleur! il l'ose. O honte! il
l'accomplit; et devant les autels memes du Christ, toutes les infamies
sont introduites de toutes parts; les temples, au milieu des reunions
des fetes solennelles, sont dedies aux demons, et sous le voile de la
religion et de la priere, tous, hommes et femmes, ne semblent reunis que
pour satisfaire librement leur lascivete; et ainsi sont celebrees les
veilles de Venus[282]."
[Note 282: _Theol. Chr._, t. II, p. 1235-1240.]
Ce morceau offre quelque interet pour l'histoire du theatre. Il
prouve que certains jeux sceniques etaient connus des ce temps-la et
inspiraient un gout tres-vif aux classes superieures de la societe, et
meme aux grands de l'Eglise. Il indique egalement que ces scandaleuses
representations, qui ont longtemps souille les lieux saints, etaient
deja celebrees aux jours de fetes, et que si une partie du clerge
les tolerait, des esprits plus severes ne lui epargnaient pas les
remontrances. Mais on comprend que cette severite meme ne devait pas
ameliorer la position d'Abelard aupres de ceux qu'elle censurait, et ce
n'etait pas une tres-habile maniere de se bien mettre avec l'Eglise;
que d'etablir, pour justifier les philosophes, que bon nombre
d'ecclesiastiques etaient loin de les egaler en purete et en modestie.
Cette apologie qui tourne en invective, decele un esprit toujours pres
de franchir les bornes et de tourner contre le clerge les armes que
devaient un jour saisir les ecrivains reformes et les libres penseurs de
toutes les ecoles. Prise en elle-meme et au fond, l'argumentation est
hardie. Elle tend a mettre la foi philosophique au niveau de la foi
chretienne, en meme temps qu'a placer les moeurs des philosophes
au-dessus de celles des pretres. Si cette argumentation etait seule
et sans contre-poids, elle
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