juge sincere pourrait accuser cette doctrine d'avoir rien d'odieux,
rien d'enorme, et de tendre a defigurer le dogme, soit en brisant
l'unite, soit en abolissant la Trinite? Elle repose sur une idee qui
n'est pas neuve, elle se prevaut d'une distinction d'attributs qui
marque et constitue celle des personnes au lieu de l'affaiblir, et qui
risque tout au plus de l'exagerer et d'introduire entre les personnes
une difference qui serait une inegalite. Abelard a proteste contre toute
pensee de ce genre, et sa bonne intention est evidente. Or comme il n'y
a pas d'heresie sans peche, c'est-a-dire sans intention, il echappe au
soupcon d'heresie, surtout il n'a pas merite la moindre des invectives
de son juge. Mais renier positivement les consequences eloignees d'une
doctrine n'est pas les aneantir; par le desaveu, on s'en absout, on ne
les detruit pas. Si les mots _puissant_, _sage_, _bon_, deviennent les
modes distinctifs des personnes de la Trinite, comme _inengendre_,
_seul engendre_, _procedant_, ils deviendront egalement exclusifs pour
chacune, et il s'ensuivra que le Pere n'est ni bon ni sage, comme il
n'est ni engendre ni procedant; le Fils ni puissant ni bon, comme il
n'est ni procedant ni inengendre; le Saint-Esprit ni sage ni puissant,
comme il n'est ni engendre ni inengendre. Ces consequences violentes, on
n'en pouvait charger Abelard; ses juges memes ne l'ont pas fait, mais
ils ont du moins induit de sa doctrine pour le Pere la toute-puissance,
pour le Fils une puissance partielle, pour le Saint-Esprit nulle
puissance, et ce qui n'etait qu'une consequence possible de son dire,
ils l'ont accuse de l'avoir dit; ils l'ont accuse d'avoir pense ce qu'on
pouvait objecter contre sa pensee. D'une refutation ils ont fait une
condamnation; meprise trop ordinaire a une juridiction spirituelle,
qui mesure souvent sur les droits de la polemique les pouvoirs d'une
inquisition.
La distinction de la puissance, de la sagesse et de la bonte mene donc a
faire de chacun de ces trois attributs le propre d'une personne, au lieu
de l'attribut commun de la divinite, et depouille ainsi la substance au
profit de la personne: tel est le danger. La reponse serait qu'il faut
supprimer cette distinction ou lui donner un sens; or, elle n'en peut
avoir aucun, elle ne repond a rien, si elle ne sert a caracteriser les
personnes. Mais en l'acceptant on ne doit pas l'oublier, et apres avoir
admis que le Pere est la puissance, le Fils la sagesse, le S
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