crit. phil_., t. III, p. 673.]
Abelard, dans sa doctrine de la Trinite, ne me parait avoir ete
precisement ni realiste, ni nominaliste; il s'est efforce de donner aux
choses leur nom, de les qualifier comme il fallait, sans tenir compte
des consequences en ontologie dialectique. Mais je suppose qu'il eut
dit expressement que Dieu est un genre, sierait-il aux realistes, qui
soutiennent que le genre est reel, d'en conclure qu'il a nie la realite
de la Divinite? De meme, s'il n'a vu dans les personnes que des
proprietes, ceux qui defendent contre Roscelin l'existence reelle
des qualites specifiques seraient mal venus a l'accuser de ruiner
l'existence reelle des personnes.
Un ecrivain judicieux a remarque avec raison que l'orthodoxie
trinitairienne n'est pas necessairement engagee dans la controverse
sur les universaux[362]. Que ceux-ci soient ou ne soient pas reels,
qu'importe a l'existence de Dieu ou des personnes divines? Ni Dieu, ni
aucune des personnes n'est donnee comme etant au nombre des universaux,
et la negation des idees generales ne touche en rien l'etre qui ne peut
etre ramene a une simple abstraction. Le principe seul de la realite
exclusive des individus pouvait bien, par une application tout a fait
independante de la fameuse controverse, conduire a trop individualiser
les personnes de la Trinite, et il parait que c'est ainsi que Roscelin a
compromis le nominalisme dans l'heresie et s'est fait blasphemateur, au
jugement de saint Anselme; car il n'est nullement vrai que son erreur
ait ete, comme on l'a dit, de reduire la distinction des personnes a
des vues diverses de l'esprit. Mais l'erreur du tritheisme pouvait etre
facilement ecartee par la consideration de _la singularite_ de la nature
divine, et par cette pensee que le mystere consistait precisement dans
l'union de quelques-uns des caracteres de l'individualite dans chaque
personne avec la communaute et l'identite d'essence. Apres tout, les
realistes ne soutenaient point que les personnes divines fussent des
genres ou des especes, et par consequent les nominalistes n'avaient sur
ce point rien a leur dire. Aussi, lorsque Abelard marque avec un peu
d'exageration la distinction des personnes, est-ce en vertu de l'idee de
propriete, et non de la theorie des genres et des especes. Il est vrai
que Neander pense que le reproche de sabellianisme aurait du plutot
etre dirige contre lui, c'est-a-dire qu'il attenuait la distinction des
personnes, et c'est ainsi
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