tour a tour.
C'est la, je l'avoue, ce qui, plus que l'esprit du nominalisme, me
parait avoir attache quelques dangereuses consequences a sa methode
theologique, non que plus d'un passage n'offre des traces de
nominalisme, mais d'autres passages s'en ecartent. Et en effet, le
principe fondamental de cette doctrine est, nous le reconnaissons avec
M. Cousin, que rien n'existe qui ne soit individuel. Nous concevons donc
que de ce principe on conclue (la distinction etant bien fugitive,
si elle est possible, entre la personne et l'individu) que les trois
personnes divines en pleine possession de l'existence sont toutes trois
des realites, des unites, et que l'identite de substance qu'on leur
impose est une chimere. Telle parait avoir ete l'erreur de Roscelin:
il a sacrifie la realite de l'unite de Dieu a la realite de l'unite
de chaque personne. Ce sont trois choses, disait-il, et si l'usage le
permettait, on devrait dire trois dieux[361]. C'est le tritheisme ou
l'heresie de Philopon et des damianistes. Or, c'est l'erreur contraire
dont Abelard est maintenant accuse; il aurait, dit-on, ramene les
distinctions reelles a des points de vue divers du meme etre, a des
conceptions diverses de notre esprit, rendant ainsi l'existence des
personnes purement nominale pour sauver l'unite reelle de la substance
divine. Or, si cette erreur est la sienne, est-elle imputable au
nominalisme? A la bonne heure pour l'erreur inverse, pour celle de
Roscelin; les individus seuls sont reels, donc les personnes ne sont
rien, ou seules elles sont reelles; voila qui est simple et logique.
Mais Abelard n'a pas dit cela, on lui prete d'avoir dit le contraire.
Pour dire le contraire, il faudrait, a la verite, qu'il eut dementi le
principe meme du nominalisme, en disant: "Il n'y a de reel que ce qui
n'est pas individuel; comme les personnes sont individuelles, elles ne
sont rien. La Divinite, qui n'est exclusivement aucune personne, la
Divinite seule est reelle." Mais alors il n'eut ete rien moins que
nominaliste, loin de la, il fut tombe dans le realisme extreme, dans
celui qui, refusant la pleine existence a l'individu, annulerait les
personnes de la Trinite, parce qu'elles ne seraient que des individus.
[Note 361: M. Cousin, Introduction, p. cxcviii.--Cf. S. Anselm. _Op._,
ep. xxxv et xli, I. II.--Ott. Frising., _de Gest. Frid_., I. I, c.
xlviii.--D'Achery, _Spicileg_., t. III, p. 142.--Buddoeus, _Observ.
select_., t. I; obs. xv.--Brucker, _Hist.
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