es contradictions apparentes, et ce travail a contribue surtout a
developper cette subtilite qu'on admire. Dans ses autres ouvrages, il a
pu risquer des opinions qui ont ebranle certaines croyances, enfante de
certains doutes; jamais il ne s'est donne pour sceptique. Seulement,
on l'y voit sur chaque question chercher et discuter les autorites,
ordinairement les memes qu'il a recueillies dans le _Sic et Non_; il y
reprend celles qui sont favorables a sa these, et parfois aussi celles
qui sont contraires; il les commente, les developpe, et s'efforce
d'en donner le vrai sens, non dans un esprit d'incertitude, mais de
conciliation. En fait, qu'est-ce que l'examen d'une question? ne part-il
pas toujours d'un _sic et non_? ne porte-t-il pas toujours sur une
contradiction entre certaines idees qui sont dans l'esprit ou dans les
livres, et qu'il faut ramener a l'unite, soit en montrant qu'elles
concordent en derniere analyse, soit en faisant evanouir celles qui ne
concordent pas? L'ouvrage d'Abelard nous represente la forme que, dans
un temps de citations et d'autorites, la position de toutes questions
devait prendre naturellement.
Mais cette habitude de poser le oui et le non devait donner a sa maniere
d'enseigner la theologie, un caractere expressement dialectique, et lui
oter cette forme dogmatique, qui semble exclure le doute en taisant
l'objection, et inculquer la verite par ordre. Abelard ne preche pas,
il discute. La polemique avait ete l'exercice de toute sa vie; il avait
pris pour maxime ces mots qu'il attribue a saint Augustin: _Quarite
disputando_[360].
[Note 360: Je n'ai pu trouver dans saint Augustin ces mots qu'Abelard
dit extraits du _De Anima_ (_Sic et Non_, I, p. 21), et ailleurs du
traite (lisez _sermon_) _de Misericordia_ (_Introd._, II, p. 1056).]
Dans cette pratique de discussion, dans cet art de considerer le pour
et le contre et de chercher en quoi l'un et l'autre etaient vrais ou
soutenables, puisque l'un et l'autre avaient leurs autorites, il a
puise le gout et le talent d'allier les contraires, sans toujours bien
s'assurer des conditions de l'alliance. Ainsi on le voit plaider la
cause de la philosophie et lui faire son proces avec une egale vivacite;
marquer trop fortement la distinction des personnes dans la Trinite,
et par un retour un peu brusque, retablir sans restriction l'unite
de l'essence et la communaute des attributs; braver en un mot les
contradictions et les resoudre ou les affirmer
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