ortee, et que recommandait egalement leur
antiquite commune. Le hasard, plus que le mouvement regulier des
esprits, decernait successivement l'autorite a des ecrivains
differents, et tandis que la vogue du pseudo-Denys, qu'on croyait Denys
l'Areopagite, portait au mysticisme, l'engouement pour le consul Boece
ramenait au genre didactique et produisait la philosophie de l'ecole.
Ce serait denaturer les faits que de vouloir assigner une valeur
philosophique a toutes les opinions, que de les representer toutes comme
les phases naturelles, comme les developpements logiques de l'esprit
humain. Pour etre vraie, l'histoire meme des systemes ne doit pas
toujours etre systematique. Le moyen age est rempli de choses fortuites,
de singularites steriles, de tentatives insignifiantes, et les
theologiens abondent en hardiesses qui ne menent a rien, en assertions
graves qui ne concluent pas, en erreurs qui n'egarent point. La foi
domine l'ensemble et neutralise souvent ce qui n'est pas elle. Comme un
corps sain et vigoureux, elle s'assimile quelquefois jusqu'a des poisons
et n'en est pas plus alteree qu'affaiblie.
Gardons-nous donc d'aller relever dans Abelard tous les passages qui,
logiquement analyses, conduiraient a des consequences auxquelles il n'a
jamais pense; toutes les expressions qui, par voie de citation, lui sont
venues de quelque doctrine qu'il n'a jamais connue, toutes les opinions
episodiques qu'il repete sur la foi d'un auteur, sans s'etre jamais
apercu qu'elles fussent d'origine suspecte ou de nature incompatible
avec la foi. Platonicien quand il cite le Timee, peripateticien quand il
cite Boece, alexandrin par endroits, plus souvent disciple de l'Eglise
latine, il n'entend pas etre autre chose qu'un philosophe catholique, et
les combinaisons d'idees heterogenes qu'on peut ca et la signaler dans
ses ecrits ressemblent souvent a des centons plutot qu'a un eclectisme.
Il cite pour se montrer instruit, il commente pour paraitre ingenieux,
il concilie pour rester logique; mais la plupart du temps son travail
porte moins sur les doctrines que sur les textes, et il entend expliquer
et non completer l'antiquite. Nous aimons a generaliser; nous excellons
aujourd'hui a retrouver la filiation des idees et a voir, comme on dit,
tout dans tout. Rien ne serait plus trompeur que de supposer a toutes
les epoques, que d'attribuer retroactivement au temps passe la
clairvoyance et l'universalite qui appartiennent au notre.
Une fois
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