autoriserait des doutes serieux sur le
catholicisme d'Abelard. Mais elle a une contre-partie qui la compense,
et qui temoigne d'une intention sincere d'impartialite chretienne.
Nous allons le voir humilier non moins resolument aux pieds de la foi
l'orgueil et l'egarement de la philosophie.
II. Au-dessus des ennemis du Christ, heretiques, juifs, gentils, ceux
qui contestent avec le plus de subtilite la sainte Trinite, sont les
professeurs de dialectique, ou ces sophistes tant railles par Platon,
"ceux qui n'usent pas, mais abusent de l'art." Or cette philosophie est
comme le glaive acere dont "un tyran aveugle se sert pour tout detruire,
mais qui peut servir pour la defense: elle peut faire beaucoup de bien
et beaucoup de mal. On sait que les peripateticiens, que nous appelons
aujourd'hui les dialecticiens, ont par de bons arguments, reprime les
heresies tant des stoiciens que des epicuriens." Quant a ceux dont
l'adresse perfide a rendu la dialectique odieuse, leur faute a ete
condamnee, il y a longtemps, par Ciceron dans sa Rhetorique[283]. Saint
Paul s'est prononce maintes fois contre l'esprit contentieux et les
argumentations verbeuses. Et un pape, repetant les paroles de saint
Ambroise, a dit: "Les heretiques mettent dans la discussion toute la
force de leurs poisons[284]." Au temps ou nous sommes, les dialecticiens
s'arrogent le premier rang parmi les philosophes, croyant avoir acquis
la "meilleure philosophie, parce qu'ils ont la plus verbeuse." En eux
est ce principe de tout peche qui precipita le premier ange de
la celeste beatitude, l'orgueil. "Les professeurs de dialectique
s'imaginent qu'armes des raisons les plus rares, ils peuvent tout
pretendre et tout attaquer.... qu'il n'est rien qu'ils ne puissent
comprendre et discuter; et, pleins de mepris pour toutes les autorites,
ils font gloire de ne croire qu'en eux seuls; car ils n'acceptent que
ce que leur persuade la raison.... L'orgueil suit la science et
l'aveuglement l'orgueil; et ainsi, chose singuliere, la science ramene a
l'ignorance." En s'attribuant a soi-meme le don que l'on tient de Dieu,
on le perd, et l'on s'egare d'autant plus qu'on avait ete mieux doue.
L'heretique, comme le mot l'annonce, est celui qui choisit, ou qui suit
la preference de son jugement, c'est-a-dire qui prefere son propre
esprit a celui de Dieu. "Il devient alors presomptueux, impatient,
contentieux: il se forme a la dispute plus qu'a la discipline et aspire
a la gloire plus qu
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