santes autorites ne lui manqueraient pas. Parmi les
Peres, Origene, si l'on doit lui donner ce nom, a ete le premier, dans
toute la force du terme, un chretien rationaliste, mais il a failli,
et pour cela peut-etre. Voyez avec quel soin Abelard se justifie de le
citer, en s'appuyant de l'exemple de saint Jerome[303]. Le modele du
philosophe chretien, le type d'une orthodoxie raisonnee, parait etre
saint Augustin; et encore dans notre temps, ou les triomphes et les
exces du rationalisme ont fait verser les ecrivains sacres du cote de
l'autorite, qui sait s'il ne se trouverait pas des gens pour nous dire
qu'Augustin est plus digne de respect que d'imitation? Le livre le plus
deteste peut-etre depuis deux siecles par les defenseurs en titre de
l'unite, porte ce nom: _Augustinus_; celui qui l'ecrivit n'entendait
certainement pas falsifier saint Augustin, et en voulant le reproduire,
il a scandalise l'Eglise. Ne nous etonnons donc pas qu'Abelard, qui
met sous la protection du nom de saint Augustin presque toutes ses
hardiesses, ait pu s'egarer lui-meme, ou du moins commettra la faute
d'inquieter la clerge. D'autres noms sont venus a son aide; il s'est
reclame de saint Jerome, de saint Hilaire, de saint Isodore; avant lui,
Bede avait allie la theologie aux connaissances philosophiques; on
celebrait dans l'Eglise la dialectique de Lanfrano de Pavie et de
Guillaume de Champeaux; saint Anselme avait donne une theorie de Dieu et
de la Trinite qu'on n'a point denaturee en la traduisant sous ce titre:
_le Rationalisme chretien_[304]. Mais Abelard a, plus hardiment, plus
librement que ses contemporains, introduit dans l'exposition du dogme
les procedes de la science et les formes de la logique. Les erreurs,
inevitables peut-etre en tout traite de theologie, ne pouvaient donc lui
etre pardonnees; l'auteur compromettait l'ouvrage, et je crois qu'on a
moins condamne sa pensee que son exemple.
[Note 303: _Introd._, t. II, p.1042 et 1045.--_Theol. Chr._, t. II, p.
1109.]
[Note 304: _Le Rationalism chretien a la fin du XIe siecle ou Monologium
et Proslogium de saint Anselme_ traduit par M. Bouchitre, 1842.]
L'Eglise s'est placee dans une position difficile; elle ne s'en est
pas tenue, elle ne pouvait s'en tenir a ces deux termes absolus et
contradictoires, la folie de la croix, ou la sagesse du siecle; elle n'u
pu prononcer un divorce eternel entre la foi et la raison, Comment,
en effet, abjurer l'humanite? Tout homme en lui-meme a d
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