ensibles. C'est donc encore les soumettra a la raison qui, dans
un cas, les eclaircit et dans l'autre, les fonde. Il est evident,
toutefois, que l'entreprise de la raison se chargeant de legitimer
la foi, est plus perilleuse, et peut conduire a rendre la religion
justiciable de la philosophie.
Cette derniere entreprise ne fut pas celle d'Abelard. Sa methode est
essentiellement l'exposition raisonnee des mysteres, non la recherche
de leurs titres a la croyance. Mais, en s'attachant a bien expliquer le
sens des points de foi, il est amene par le procede dialectique a les
rapprocher a un tel degre des verites philosophiques, qu'on dirait
qu'il veut les confondre, et, pour rendre la religion plus raisonnable,
_obsequium rationabile_, l'absorber dans la raison. Ainsi, sans avoir
mis en question les verites de la foi, sans avoir affiche la derniere
pretention du rationalisme, il marche vers un but qui serait en
definitive le terme du rationalisme. Que pourrait-on pretendre en effet
au dela de cette conclusion derniere: La foi, c'est la raison?
Cependant ces mots pourraient encore etre entendus chretiennement. Qu'on
y songe, le rationalisme incredule dit: la raison exclut la foi; a
l'autre extremite, on dit: la foi exclut la raison. Entre ces deux poles
se placent deux opinions moderees et pourtant divergentes, qui diraient,
l'une: la raison, c'est la foi; et l'autre: la foi, c'est la raison.
Tout ceci prouve que le principe d'Abelard ne peut etre definitivement
juge que par les consequences qu'il en a tirees.
II.
Prenons donc qu'il n'a point eleve la question: Faut-il croire les
dogmes? mais, pose qu'il faut croire les dogmes, quel est le sens de
ceux qu'il faut croire?
Voici la premiere erreur d'interpretation que lui reproche saint
Bernard: "Il etablit que Dieu le Pere est une pleine puissance, le
Fils une certaine puissance, le Saint-Esprit aucune puissance." A cet
article, place en tete de tous les actes d'accusation[305] Abelard a
toujours repondu par une formelle denegation: "Ce sont paroles que
je repousse et deteste ainsi qu'il est juste, non pas tant comme
heretiques, que comme diaboliques, et je les condamne ainsi que
leur auteur. Si quelqu'un les trouve dans mes ecrits, je me declare
non-seulement heretique, mais heresiarque[306]."
[Note 305: Cf. les historiens des conciles, et notamment. _Ab. Op., in
Proefat_.--D'Argentre, _Collect. Judivior. de nov. error_., t. 1, p.
19.--S. Bern. Op., v. 1.--_Thes
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