e qu'ont senti et les saints et les philosophes. Les esprits
celestes eux-memes ne connaissent pas Dieu pleinement. Le nom du fils
de Dieu, dit Hermes, ne peut etre prononce par une bouche humaine[286].
Dieu, "c'est-a-dire le Dieu qui n'est compris et cru que par le petit
nombre ou par les plus grands des sages," est _le Dieu inconnu; Incerti
Judaea Dei_, dit Lucain. C'est le Dieu cache de l'Ecriture, le Dieu
inconnu de l'autel d'Athenes, le meme, ce semble, que cet autel de
la Misericorde, ou ne s'offrait pas d'autre sacrifice que celui des
brachmanes, le sacrifice de la priere et des larmes, l'autel dont parle
Stace:
Nulli concessa potentum
Ara Deum, mitis posuit clementia sedom.
[Note 286: _Id., ibid._, p. 1254.--Abelard ne cite, je crois, nulle part
Hermes qu'a l'aide de saint Augustin, et rien ne me prouve qu'il eut
sous les yeux le texte ou la traduction de ces celebres apocryphes, le
Pimandre ou l'Asclepius.--Cf. _Introd._, p. 1004, 1009, 1012, 1052,
etc., et _Sic et Non_, p. 45.]
"Que repondront a tout cela les professeurs de dialectique, s'ils
veulent discuter par raisonnement ce que leurs principaux docteurs
affirment ne pouvoir etre explique? Ils se moqueront de leurs docteurs,
pour n'avoir pas tu la verite que Dieu leur inspirait, verite que
ceux-ci font profession de ne pouvoir exposer en dissertant, tenant pour
plus venerable ce qui surpasse davantage la portee de l'intelligence
humaine. Ils ne rougissent pas de declarer qu'ils entendaient et meme
disaient bien des choses, qu'ils professaient enfin des verites qu'ils
ne pouvaient demontrer; et meme ils se plaisaient tellement dans
cette obscurite que, sur les choses qu'ils auraient pu demontrer, ils
etendaient le voile litteral, pour que la verite decouverte et nue ne
fut pas meprisee a cause de la facilite de la comprendre." Les deesses
d'Eleusis apparurent une nuit au philosophe Numenius, en habit de
courtisanes, et se plaignirent qu'il les eut arrachees du sanctuaire de
la pudeur, parce qu'il avait donne l'interpretation de leurs mysteres,
"Oh! plut a Dieu que ceux qui s'affichent pour philosophes fussent, meme
en songe, detournes de leur presomption, et qu'on les vit cesser de nier
l'existence de l'incomprehensible majeste du Dieu supreme, parce qu'ils
ne l'entendent pas discuter avec une parfaite evidence[287]!"
[Note 287: _Id., ibid._, p. 1254.---Le songe de Numenius est raconte par
Macrobe, (_Somn. Scip.,_ t. I, c. II.)]
Mais voici l'
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