stote, et en meme temps il
s'attachait a rendre son art accessible et populaire. Lors donc que,
vainqueur de Guillaume de Champeaux, il entra dans la theologie, ce fut
comme la science en personne qui venait trouver la foi; ce fut la raison
qui tendait la main au dogme, et l'on put croire, au gre des preventions
diverses, que la verite chretienne rencontrait son defenseur ou son
conquerant le plus redoutable. Peut-etre les deux opinions etaient-elles
plausibles, il y avait en lui de quoi repondre a bien des esperances
et justifier bien des craintes. Il venait, en effet, et il l'a dit,
je crois, avec une entiere sincerite, il venait faconner la foi a la
dialectique et la premunir contre la dialectique meme. Nous le verrons
soutenir en meme temps que les chretiens n'ont pas d'appuis plus fermes
ni de plus dangereux ennemis que les philosophes, et tout ensemble
attaquer l'abus que l'heresie fait de la logique, et les dedains que
l'orthodoxie lui temoigne. Ce fut donc sciemment et explicitement qu'il
se posa en conciliateur et presque en arbitre, tour a tour exigeant
comme un critique et docile comme un fidele, et qu'il s'efforca de
realiser en lui-meme ce personnage eclectique, le chretien rationaliste.
Contre lui s'eleverent bientot tontes les accusations que la philosophie
a coutume d'exciter. Elles ont poursuivi sa memoire. Nous pourrions
multiplier les citations, et l'on verrait, a partir d'Abelard, la
theologie scolastique continuer sa route et ses succes au milieu des
plaintes et quelquefois des maledictions d'une partie de l'Eglise,
jusqu'au jour ou c'est la raison aussi qui reclame et ose attaquer
Aristote lui-meme a travers Occam, saint Thomas, Scot, Albert le Grand,
Averroes, Abelard; mais restons au XIIe siecle. Alors, ce qui devait un
jour devenir un prejuge paraissait une nouveaute, et la temerite etait
du cote des scolastiques. Malgre leur soumission au dogme et a l'Eglise
en general le caractere philosophique dominait en eux, et l'expression
de theologie scolastique equivalait, dans le langage du temps, a celle
de philosophie de la theologie. C'est avec ces idees qu'il faut se
representer Abelard, et que son siecle l'a considere. L'opinion commune
du clerge sur son compte est celle de Baronius[163]: "Pierre Abelard a
soumis les Ecritures aux philosophes, principalement a Aristote, et
il traite les Peres d'ignorants qui ne prouvaient rien de ce qu'ils
disaient."
[Note 163: Tribbech., Ouvr. cit., c. v, p. 2
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