encore faut-il exclure celles d'ou s'elanca la
reforme; mais s'il n'en est guere qui aient fait ouvertement profession
de sortir de l'Eglise, toutes ont maintes fois change de direction,
sans cesse oscille entre le raisonnement, la tradition, l'autorite
des philosophes, celle de l'Ecriture, la foi, la dialectique et la
mysticite. La theologie meriterait bien aussi d'avoir son histoire des
variations.
Abelard nous offre un frappant exemple de la maniere dont la philosophie
et la religion, devenues la dialectique et la theologie, s'alteraient
et se repoussaient mutuellement, s'unissaient et s'envahissaient tour a
tour. Avant lui, dans le moyen age, nul philosophe peut-etre n'avait
ete autant theologien, nul theologien aussi philosophe. Aucun n'avait
realise au meme degre cette union des deux sciences et des deux genies,
eminent qu'il etait dans l'ecole d'Aristote et dans celle de Paul[131].
Mais ainsi que son esprit croyant et scrutateur fut sans cesse ballotte
des tentations de l'examen aux exigences de la foi, de la liberte a la
soumission, sa vie fut tour a tour jouet ou victime de l'empire de la
philosophie et de la puissance de l'Eglise. Vainement poursuivit-il
incessamment l'accord pour la science, de la raison et de la foi, pour
la vie, de la liberte et de l'ordre; ni son esprit ne trouva la paix,
ni son existence, le repos. La logique, il le dit, le rendit odieux aux
hommes[132]; son genie troubla son ame ainsi que sa destinee, et la
renommee lui apporta le malheur.
[Note 131: "In Paulo." _Ab. Op., Apol. ad Hel._, p. 308.]
[Note 132: "Odiosum me mundo reddidit logica." _Ibid._, et ci-dessus, l.
I, t. 1, p. 230.]
Ce n'est pas qu'il ait le premier essaye de mener ensemble la
philosophie et la religion. Cette alliance a seduit de bonne heure tous
les grands esprits nes au sein du christianisme. Saint Paul, en entrant
dans l'ecole d'Athenes, donna un memorable exemple. Lorsqu'il planta la
croix du Sauveur pres du tombeau de Socrate, on eut dit que l'Evangile
venait chercher la philosophie, non pour la detruire, mais pour en faire
la conquete. L'apotre des gentils offre dans ce titre meme un symbole
de l'union de la parole de Dieu a la parole antique, et malgre ses
imprecations contre les egarements des sages de son temps, il reconnait
a la raison humaine les droits imprescriptibles d'une revelation
eternelle. Au IIe siecle, le troisieme ecrivain de christianisme, le
premier des apologistes, saint Justin Marty
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