it aisement qu'elle devait
encourir deux jugements opposes, cette etrange et obscure epoque, si
pleine de contrastes, et qui, seule peut-etre entre toutes celles de
l'histoire, a reuni la barbarie dans les moeurs et le spiritualisme dans
les idees.
Mais si tout l'honneur ne doit pas revenir au christianisme, bien moins
encore la religion doit-elle etre rendue responsable de tout ce qu'il y
eut au moyen age de grossierete et d'oppression. Elle est loin d'avoir
toujours ete souveraine maitresse. Dans l'ordre politique, apres avoir
parfois resiste jusqu'a l'heroisme, aux passions mondaines, elle leur a
souvent cede, complu meme au point de s'en faire l'instrument doctrinal
et l'apologiste sophistique. De meme aussi, dans l'ordre intellectuel,
tantot elle a poursuivi la domination exclusive de l'esprit humain,
tantot elle s'est alliee avec les sciences profanes au point de
s'identifier avec elles. Aussi n'a-t-elle pas reussi a maintenir son
unite aussi rigoureusement qu'on le pretend. Elle a eu ses dissidences,
ses changements, ou, si l'on veut, ses progres. C'etait un lieu commun
des temps de la scolastique que la philosophie devait etre la servante
de la theologie, _ancilla theologiae_[130] mais a force de vivre avec sa
servante, la maitresse finissait par prendre son langage et ses allures,
et la puissance effective sur l'intelligence a souvent passe du cote
de la philosophie. Or, quand on pense qu'au moyen age le christianisme
regnait en maitre absolu, il faut soutenir que la scolastique est
la vraie et la seule philosophie chretienne; et pourtant comment
s'aventurer sur le terrain de la scolastique, sans y rencontrer
quelques-uns des monstres qui infestent, nous dit-on, les sombres
detours de cette foret magique appelee la philosophie moderne?
[Note 130: On trouve cette metaphore partout. L'origine en est peut-etre
dans un passage de saint Jean Damascene qui veut que, comme une reine a
des suivantes, la verite se serve des sciences humaines ainsi que de ses
esclaves; (_Dial._, I, i.) et dans une comparaison prise de la situation
d'Abraham, qui avait une femme, Sara, et une servante, Agor; la
theologie est Sara et la dialectique est Agor. (Didym. _ap. Damasc.,_
lit. E, tit. ix.) Le P. Petau s'approprie cette comparaison. (_Theolog.
Dogm., prolog.,_ c. iv, 4.)]
Pour l'histoire, l'unite tant vantee du moyen age est une apparence qui
cache souvent la lutte et la division. Comme entre les moeurs et les
idees, les sent
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