e qui
peut preferer l'idee d'Abelard ne saurait faire qu'elle fut l'idee
traditionnelle et partant orthodoxe de l'Eglise catholique. La Trinite
et la Redemption sont les seuls dogmes speciaux dont le saint s'occupe
avec etendue. Il glisse sur le reste, et se borne a caracteriser d'une
maniere generale l'esprit du rationalisme qui respire dans toute la
theologie d'Abelard. La encore, il montre une vraie sagacite, et il
attaque l'intervention de la raison dans les choses de la foi avec une
force et une clairvoyance qui feraient envie a plusieurs des apologistes
de notre siecle, avec une rhetorique passionnee qui rappelle l'auteur
de l'_Essai sur l'indifference en matiere de religion_; c'est la meme
eloquence, plus animee peut-etre, quoique moins naturelle encore; c'est
la meme vigueur sophistique; c'est, avec les idees que M. de la Mennais
n'a plus, le talent qu'il a toujours.
[Note 303: S. Bern. _Op._, ep. CXC, seu tractatus contra quaedam
capitula errorum Abaelardi, vol. I, t II, op. XI, p. 636.--_Ab. Op._,
p. 276. Voyez dans la suite de cet ouvrage le c. IV de la troisieme
partie.]
Jamais plus active et plus soigneuse habilete n'a ete deployee pour
perdre un homme, coupable seulement de dissidence et convaincu d'etre
un contradicteur. A voir tant d'efforts empreints de tant de haine,
de ressentiment et d'orgueil, on se dit qu'il est heureux pour saint
Bernard d'avoir ete un saint. Quiconque penserait et agirait ainsi pour
un interet quelconque de ce monde, meme pour celui d'une politique
equitable et legitime, serait accuse de mechancete dans la tyrannie; la
saintete seule attenue, si elle ne les justifie, ces exces de l'ame. On
a grand tort d'attaquer les austerites que le christianisme prescrit.
Ces austerites heroiques sont seules capables de racheter devant Dieu
les vives passions que, ne pouvant les supprimer, le christianisme
detourne a son profit, et qu'il devoue a sa cause. Saint Bernard
consacrait a Dieu ses passions, comme autrefois les templiers leur epee.
L'interieur du parti qui poursuivait Abelard nous est mieux connu que le
parti d'Abelard lui-meme, et que sa propre conduite, dans ces difficiles
circonstances. Peut-etre le Vatican, qui nous a rendu le texte des
propositions deferees par le concile de Sens, contient-il encore, dans
ses mysterieuses archives, les lettres d'Abelard suppliant, et les
plaintes de ceux qui, croyant la verite persecutee dans sa personne,
invoquaient la protection du chef
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