et elle n'est guere conciliable avec les autres relations,
meme avec celle de saint Bernard, meme avec celle que contient cette
lettre[294]. Pour qu'elle soit exacte, en effet, il faut ou qu'Abelard
ait quitte la seance sans mot dire, ce que nul ne pretend, ou qu'on eut
par provision statue a huis-clos sur ses doctrines, avant de l'entendre
en personne, ou qu'enfin l'appel au pape n'ait paru consomme qu'apres
avoir ete regularise par une declaration ecrite, admise comme valable
par le concile[295]. Quoi qu'il en soit, l'archeveque de Sens et son
clerge transmettent au pape, en finissant, les articles condamnes, et
"le supplient unanimement de confirmer leur sentence, de frapper d'un
juste chatiment ceux qui s'obstineraient par esprit de contention a les
defendre[296]; et quant au susdit Pierre, de lui imposer silence en lui
interdisant d'enseigner et d'ecrire, et en supprimant ses livres."
[Note 293: S. Bern. _Op._, ep. CCCXXXVII, ad Innocent. pontif. in
persona Franciae episcop., Not. d.]
[Note 294: "Pridie ante factam ad vos appellationem damnavimus."
Cette circonstance est en effet peu conciliable avec ces mots de la
portion anterieure du recit: "Respondere noluit ... ad vestram tamen,
sanctissisme pater, appellans praesentiam, cum suis a conventu
discessit." (_id. ibid._ Voyez aussi les lettres CLXXXIX et CXCI.)]
[Note 295: Le pere Longueval, _Hist. de l'Egl. gall._, t. IX, l.
XXV, p. 29.]
[Note 296: "Sententias eas perpetua damnatione notari et omnes qui
pervicaciter et contentiese illas defenderent justa poena muletari."
(Ep. CCCXXXVII.)]
En meme temps, Bernard ecrit pour son compte au pape. Il se jette dans
ses bras avec tous les epanchements d'une ame navree de douleur et d'un
chretien au desespoir. Il est degoute de vivre, il ne sait s'il lui
serait utile de mourir[297]. Insense! il croyait, apres la mort de
Pierre de Leon, l'antipape, que l'Eglise etait enfin tranquille et qu'il
allait vivre en repos; il ignorait qu'il habitait une vallee de larmes,
une terre d'oubli. La douleur est revenue, ses pleurs ont coule a flots
comme les maux qu'il a soufferts. Un Goliath s'est leve, d'autant plus
hardi qu'il sentait bien qu'il n'y avait point de David: Goliath, c'est
Abelard, toujours avec son compagnon d'armes, Arnauld de Bresce. Puis
vient le recit des circonstances que l'on sait, et enfin une adjuration
vehemente adressee au successeur de Pierre: qu'il voie s'il est possible
que l'ennemi de la foi de Pi
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